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INTERVIEW | Geneviève Healey : l’ultracyclisme, vu de l’intérieur

Ah, l’ultracyclisme, ce sport où l’on peut à la fois pédaler pendant des heures et résoudre des énigmes existentielles comme « Pourquoi ai-je décidé de faire ça ? » ou « Comment surmonter l’envie d’abandonner ? ».

Dans cette série de questions et réponses, plongeons dans l’univers fascinant de l’ultracyclisme en compagnie d’une passionnée de la longue distance, Geneviève Healey, qui partage avec nous ses aventures, anecdotes hilarantes et précieux conseils pour tous les aspirants « rouleurs fous ». Alors, attachez vos casques et préparez-vous à une dose d’inspiration souriante ! 

À l’origine, qu’est-ce qui t’a amenée à faire de l’ultracyclisme ? Est-ce que cela découle d’un élément particulier de ta personnalité ?

J’ai toujours été à l’aise en groupe et je prends beaucoup de plaisir à socialiser et rire, mais j’ai aussi un côté solitaire très marqué. Je suis capable d’entrer dans ma bulle pendant de très longues heures. J’ai aussi toujours pensé que pour être bien dans un effort d’endurance (où on souffre souvent physiquement et mentalement pendant longtemps), il faut soit être dans un état d’esprit très positif, quand tout va bien dans notre vie, ou alors complètement l’inverse. Se trouver entre les deux empêche de s’accrocher à nos pensées omniprésentes et profondes. Cet entre deux eaux nous prive de faire complètement abstraction de ce qui se passe, de contempler et d’accueillir ce qu’on vit avec positivisme.

J’ai toujours été attirée par les sports d’endurance, je suis moins de type sports d’équipe, même si j’aime beaucoup la compétition. J’ai eu la chance de baigner dans un environnement familial où le sport était valorisé et pratiqué. J’ai commencé par le ski de fond, la course à pied, la course en sentier et, finalement, le vélo de route où j’ai eu la piqûre de la longue distance.

En fait, rien de surprenant, puisque même étant jeune, si mes parents ne pouvaient pas me reconduire quelque part (on parle de 40-50 km), je me lançais souvent le défi d’y aller à vélo, revendiquant ainsi une certaine autonomie et liberté. J’ai fait l’aller-retour à vélo jusqu’au chalet familial (43 km x 2, pas mal de dénivelé) habillée en jeans avec un gros sac à dos, quelques pommes, enfourchant mon vieux vélo Canadian Tire. À l’époque, l’accotement n’était pas pavé.

Qu’est-ce qui te motive maintenant à participer à des événements d’ultracyclisme ?

Je dirais que ce qui m’attire dans l’ultracyclisme est un ensemble de choses. D’abord l’envie d’inspirer des gens, surtout les femmes, à tenter la longue distance. De montrer que tout est possible. Cet ensemble de choses se décline sur plusieurs horizons de temps : quotidiennement, à court-moyen terme et à long terme.

  • Au quotidien : la forme physique, l’équilibre mental, occuper mes journées à réfléchir aux prochaines sorties, aux prochains défis.
  • Court-moyen terme : voyager, explorer différemment des endroits.
  • Long terme : résilience (à force de gérer des situations ou le plaisir de type 2 est prépondérant (météo, vent, bris mécaniques, difficultés de parcours, stress, etc.)), sentiment de penser que je peux affronter toutes les situations difficiles se présentant à moi (ou presque), des souvenirs, des rencontres…

Le plaisir de type 1, souvent appelé « plaisir immédiat », est une sensation de bonheur instantané que l’on ressent lorsque l’on satisfait un désir ou un besoin immédiat, comme manger une délicieuse pâtisserie ou se détendre devant la télévision. En revanche, le plaisir de type 2, également connu sous le nom de « plaisir différé », résulte de la poursuite de buts à long terme. C’est comme planifier un voyage excitant qui demande de l’effort et de la patience, mais dont l’anticipation et la récompense finale peuvent apporter une satisfaction plus profonde et durable.


À quoi ressemble ton entraînement, ta préparation physique et mentale ?

Ayant d’abord gravité dans le monde de la course à pied (sur route, puis en sentier), c’est là que j’ai appris les rudiments de l’entraînement structuré. Par la suite, j’ai pratiqué beaucoup d’autres sports en guise d’entraînement croisé, parfois à cause de blessures, parfois par lassitude. Lorsque j’ai finalement acheté mon premier vélo de route, je ne savais pas trop comment m’entraîner dans cette discipline et je l’ai plutôt abordée en mode exploration de territoire, en participant à divers événements. Au fil du temps, j’ai pris goût à l’ultradistance et, bien que je m’assure toujours d’avoir un volume considérable dans les jambes et de recréer des contextes d’entraînement spécifiques (plusieurs jours d’affilée, beaucoup de dénivelé, etc.), j’y ai surtout intégré des entraînements pour mon mental (sorties sous tout type de météo, de nuit, sur des parcours répétitifs, etc.). Je ne suis donc pas de plan précis, mais j’imagine que mon bagage d’endurance m’aide énormément à doser mon entraînement.

Comment gères-tu tes courses : nutrition, sommeil, vitesse, etc. ?

Encore une fois, les éléments de gestion de course se pratiquent le plus possible à l’entraînement.

Nutrition

Je suis chanceuse, car je n’ai jamais eu de problèmes à manger lors de longues épreuves d’endurance. Autant que possible, j’essaie de varier mon alimentation – j’aime bien les jujubes, mais à la longue on se lasse ! – donc fruits séchés, boules de riz, bretzels, avec un bidon de boisson avec électrolytes et un bidon d’eau. Je m’assure d’avoir un « vrai repas » toutes les 4 à 6 heures, dépendant des conditions. Donc un sandwich, du fromage et un produit céréalier. Bien sûr, durant ces longues heures en selle, comme un bon moral est la clé pour parvenir à ses fins et que j’ai un bon appétit, je me concentre sur des « aliments bonheur » qui me font plaisir et j’assouvis ce besoin autant que possible. Lorsque je suis à l’étranger, je suis vraiment excitée d’essayer les déclinaisons de breuvages et de barres d’énergie, ça rend mon expérience plus agréable.

Sommeil

Je redoute les journées sans sommeil, pour plusieurs raisons (voir La gestion du sommeil en cyclisme longue distance). Donc je tente autant que possible d’avoir au moins 3-4 heures en continu pour dormir par jour, sur une course de 4-5 jours par exemple. Sur le BikingMan Portugal (1000 km en 4 jours et des poussières), cette technique a bien fonctionné, mais j’imagine que pour un événement encore plus long, il me faudrait récupérer un peu plus. Je dois aussi travailler pour vaincre ma peur de rouler de nuit à l’étranger. Mais ça, c’est une autre histoire !

Vitesse

Ce n’est pas un gros enjeu pour moi ; je m’assure de ne jamais « être accotée », comme on dit au Québec, et de toujours avancer, de limiter les arrêts. Et lors d’une pause, j’essaie de la rendre le plus efficace possible.

T’arrive-t-il d’avoir envie d’abandonner ?

La seule fois que j’ai dû abandonner fut lors d’un gros accident qui m’a laissée inconsciente, avec plusieurs fractures au visage. La question ne se posait donc pas. Cependant, il m’est quelquefois arrivé de passer très proche d’abandonner. Qu’est-ce qui a fait que j’ai changé d’idée et que j’ai persévéré ? Outre ma « tête de cochon », je dirais que j’ai une grande capacité à trouver des solutions là où elles sont parfois presque inexistantes. La dernière fois, c’était pour une douleur insupportable au genou droit, lors du BikingMan Portugal, environ au 500ième km sur 1000. Une simple rotation de ma jambe était très douloureuse, sans même forcer. Je me suis arrêtée et je me suis demandé ce que je pouvais faire de différent, ce qu’il me restait à essayer. J’ai donc enlevé mon soulier et j’ai déplacé ma cale (je ne me rappelle plus de quel côté). Après 10 km, placebo ou pas, la douleur s’est calmée et c’est, à ce jour, ma plus belle journée en selle ! D’où une leçon : il faut évidemment écouter son corps lorsqu’il y a blessure imminente ; mais il faut aussi avoir confiance dans nos aptitudes de résolution de problèmes. Demeurer le plus possible dans un état de recherche de solutions aide à ne pas sombrer dans le négativisme qui peut mettre à risque d’abandonner, et ce, même pour des peccadilles.

Des particularités du côté équipement et matériel ?

Pour ce qui est de l’équipement et du matériel nécessaires pour se mettre à la longue distance, c’est un choix assez personnel et il y en a pour tous les budgets. Je pense que l’idéal, c’est d’y aller graduellement, en commençant par les indispensables : des lumières, un sac de cadre ou de selle plus volumineux et peut-être une pompe pour remplacer les cartouches de CO2.

Pour le reste, côté vêtements, bien sûr, avoir des cuissards et un maillot confortables pour les endurer de très longues heures, ainsi que quelques vêtements plus chauds et à l’épreuve de la pluie. Personnellement, je ne pars jamais sans gants (pour absorber les vibrations accumulées), ni sans un petit tube de crème à chamois.

Au fil des années, j’ai remarqué que pour être efficace et avoir à gérer le moins possible de décisions lors d’une très longue sortie ou d’un événement d’ultracyclisme, en plus de souhaiter réduire le poids de mon chargement, je m’assure d’avoir des vêtements les plus polyvalents possible, tel un coupe-vent imperméable, mais aussi respirant, ou encore une veste sans manches qui me permet de stocker davantage, tout en pouvant l’ouvrir pour me rafraîchir.

J’ai aussi laissé tomber les couvre-chaussures (sauf par temps très froid où je les conserverai 100 % du temps) et j’accepte l’inconfort d’avoir les pieds mouillés… ils finiront bien par sécher.

Après tout, l’ultracyclisme, n’est-ce pas de se pratiquer à tolérer l’inconfort le plus longtemps possible ?

Sinon, pour ce qui est du vélo, j’ai un Argon 18, modèle Krypton GF, spécifiquement conçu pour la longue distance. J’ai pris quelques années avant d’installer des prolongateurs, mais désormais, je ne m’en passerais plus. Même si ça prend quelques heures de pratique pour être à l’aise, le fait de pouvoir changer de position (ou le mal de place) est très avantageux pour la longue distance.

Des conseils pour les ultracyclistes en devenir ?

1 – Ne vous lancez pas dans l’ultracyclisme si vous n’en avez pas envie. En d’autres mots : ne vous lancez pas si vous ne ressentez aucune motivation intrinsèque, car celle-ci est indispensable pour développer sa force mentale pour éviter d’abandonner.

2 – Entraînez-vous sous TOUTES les conditions. Ce qu’on vise à travailler à l’entraînement, c’est de pouvoir réduire le plus possible les situations inconnues. Pluie, vent, froid, noirceur, chaleur, dénivelé, plusieurs journées en ligne, etc. Testez votre équipement (et votre corps) dans toutes les situations.

3 – Allez-y progressivement. Tout comme le corps, la tête a besoin de s’adapter à endurer ces longues distances !

Comment se distinguent les événements d’ultracyclisme ?

Globalement, même s’il y a des événements de toutes les distances, allant de 300 km à plusieurs milliers, sur route ou sur gravelle, il existe principalement deux types d’événements d’ultracyclisme : ceux en autonomie totale et ceux qui requièrent une équipe de soutien. Je n’ai pas beaucoup d’expérience lors d’événements avec équipe de soutien, parce que, justement, j’ai compris lors du Défi Bonneville que je préférais n’avoir que moi à gérer ; je trouvais ça trop stressant de me soucier de mon équipe.

J’affectionne particulièrement les événements en solo, où je peux vraiment entrer dans ma bulle et ne penser qu’à moi. Le BikingMan Portugal, 1000 km à parcourir en un maximum de 120 heures, en autonomie complète fut une révélation pour moi. C’est aussi lors de cette course que j’ai compris le réel sens du plaisir de type 1 vs celui de type 2.

Les épreuves de longue distance, tel l’ultracyclisme, sont un peu comme le plaisir de type 2 dans le monde du sport. Les participants se lancent dans des défis incroyablement exigeants, parcourant des centaines de kilomètres sur des routes sinueuses et montagneuses. Cela demande une préparation rigoureuse et une persévérance hors du commun, mais la satisfaction de franchir la ligne d’arrivée est comparable au plaisir différé. Enfin, il ne faut pas oublier que même lors d’événements d’ultracyclisme, il y a des moments de plaisir de type 1, en dévalant une longue descente ou en consommant un aliment réconfortant, par exemple.

C’est cette combinaison des types de plaisir qui, à mon sens, rend l’ultracyclisme si enivrant.


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Guy Thibault

Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.

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