La place des femmes en ultracyclisme
6 septembre 2023
Geneviève Healey
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes qui participent aux événements de cyclisme longue distance et que sait-on de leur participation ?
Avec les victoires de plus en plus fréquentes chez les femmes en ultracyclisme (ex. : Fiona Kolbinger, Transcontinental Race (TCR) 2019 ; Leah Goldstein, Race Across America 2021), et en tant qu’adepte de cette discipline depuis plusieurs années, je m’interroge sur les raisons de la faible participation féminine à ces événements.
S’il n’est pas facile de brosser le portrait type de l’ultracycliste, par manque de données, certaines caractéristiques ressortent tout de même d’études à ce sujet. La littérature sportive mentionne une hausse de la participation des femmes dans les épreuves de course à pied longue distance, mais cette croissance est moindre dans les autres disciplines (de longue distance). Qu’en est-il réellement dans les épreuves d’ultracyclisme et qu’en savons-nous ?
Dans Can the Performance Gap between Women and Men be Reduced in Ultra-Cycling ? (2020), où on a analysé les données d’événements de cyclisme de longue distance entre 1996 et 2018, on a comparé les résultats obtenus par les femmes et par les hommes, selon l’année, le groupe d’âge et la distance à compléter. Sur la ligne de départ de ces événements, on retrouve en majorité des hommes âgés entre 35 et 49 ans, surtout des Européens. Ce sont entre 30 et 40 % des cyclistes qui prennent le départ à une course qui ne parviendront pas à la terminer, et parmi ceux qui la termineront, on compte seulement entre 3 et 11 % de femmes.
Photo © David St-Yves
De plus, il ressort de l’analyse de ces données que plus la distance de course augmente, plus l’écart entre les genres diminue. En effet, on voit dans ces 12 716 résultats de course que sur des distances entre 100 et 200 milles, les hommes étaient plus rapides que les femmes, mais qu’aucun écart de genre n’a été observé pour des courses allant de 400 à 500 milles.
Aussi, cet écart tend à rétrécir avec l’âge, et ce, peu importe la distance de l’événement. Tel que le soulèvent les auteurs, ces constats ne devraient-ils pas encourager les femmes à participer en plus grand nombre à ces événements, particulièrement après la quarantaine ? Si cela est vrai pour les épreuves de longue distance en course à pied, ce n’est pas le cas en cyclisme longue distance. Mais pourquoi ?
En plus de souvent avoir peur de compétitionner contre les hommes, plusieurs femmes de mon entourage m’ont rapporté des inquiétudes quant au sentiment d’insécurité d’une femme seule dans un événement d’ultracyclisme.
Puisque la distance est très longue, il n’est pas rare de pédaler pendant des heures, voire des journées complètes, sans croiser d’autres participants, de jour comme de nuit.
Même si la littérature relate surtout des données en lien avec la pratique de la course à pied, des parallèles peuvent être faits avec le cyclisme, sur les craintes ressenties lorsque les gens courent en solo.
En effet, dans Environmental Preferences and Concerns of Recreational Road Runners (2021) et dans Is Safety a Concern for Women Runners ? (2008), on décrit les inquiétudes des femmes plus grandes que celles des hommes quant au sentiment de sécurité. La peur des animaux et d’être agressée est beaucoup plus grande chez les femmes qu’elle ne l’est chez les hommes, alors que ces derniers craignent davantage les cyclistes et piétons distraits et la mauvaise qualité des routes. Ainsi, on peut s’imaginer que dans des lieux reculés où l’éclairage se fait plutôt rare de nuit, les femmes seront plus craintives. Un article sur ultracyclisme.fr, Alors, où en est la place des femmes dans le cyclisme en France en 2022 ? (2022) suggère que les infrastructures étant surtout réfléchies par des hommes, la réalité des femmes est involontairement moins prise en compte. Sans soulever les passions sur la qualité des infrastructures cyclables à travers le monde, on propose quelques pistes d’amélioration, en plus des grandes lignes d’un travail de société à amorcer en amont, pour légitimer la place des femmes dans le monde du cyclisme. Plus on verra de femmes et autres minorités s’adonner au cyclisme de longue distance, plus ces modèles seront influents.
L’idée est aussi de lancer la discussion auprès des organisateurs des événements d’ultracyclisme, pour les amener à réfléchir aux actions à mettre en place pour attirer davantage de femmes.
Photo © David St-Yves
Par exemple, plusieurs courses prévoient des trackers GPS permettant de suivre la trace des participants qui incluent un bouton SOS en cas d’urgence majeure, d’autres offrent des rabais aux femmes ou leur permettent de s’inscrire jusqu’à la dernière minute. En terminant, saluons aussi les initiatives grandissantes des courses et regroupements « pour femmes seulement », organisées par des femmes (Dusty Bandita, Donnons des elles au vélo, Le Tour de Femmes, les Fines Garnottes, les Limettes, etc..) et mettons de l’avant les témoignages positifs de la communauté féminine d’ultracyclisme.
Dans un article du magazine Cyclist, Fiona Kolbinger (gagnante, tous genres confondus, de la TCR #7) déclare après sa victoire : « Je veux montrer que l’ultracyclisme peut être pratiqué par n’importe qui, peu importe son genre, sa race ou son milieu socio-culturel. »
Peu d’hypothèses ont été avancées sur les raisons d’une participation marginale de femmes, mais le discours de la communauté féminine ultracycliste et mes observations personnelles donnent quelques pistes.
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