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La gestion du sommeil en cyclisme longue distance

Dormir ou ne pas dormir lors d’un événement d’ultracyclisme, mais à quel prix ?

L’ultracyclisme ou cyclisme longue distance regroupe des épreuves allant de centaines à des milliers de kilomètres, s’échelonnant souvent sur plusieurs jours. Selon la World Ultracycling Association (WUCA), il s’agit de « tout événement cycliste supérieur à 200 km ou d’une durée d’au moins 6 heures en un seul effort ».

Certaines courses imposent l’entièreté du parcours, avec des points de contrôle à franchir selon des fenêtres de temps prédéfinies, alors que d’autres imposent simplement de passer auxdits points de contrôle, laissant libre cours aux participants de construire leur propre itinéraire. Parmi les plus renommées, nous retrouvons les mythiques Race Across America (RAAM), Paris-Brest-Paris, Transcontinental Race (TCR), la série de courses BikingMan et, au Québec, le Défi 808 Bonneville (D808), mais il existe une panoplie de courses et d’événements autour du globe.

Malgré le fait que certaines courses obligent qu’une équipe de soutien suive le participant, comme c’est le cas pour la RAAM et le D808, la très grande majorité exige une autonomie complète, laissant le soin aux participants de gérer en solo leur progression et leurs pauses comme bon leur semble. Mais qu’en est-il, justement, de la gestion du sommeil et des pauses en ultracyclisme ?

S’il existe plusieurs mises en garde dans la littérature scientifique quant aux effets néfastes de la privation de sommeil pendant des événements sportifs de longue distance et aux risques d’accidents qui y sont reliés, peu de scientifiques se sont intéressés aux conséquences a posteriori que cela pourrait avoir sur les athlètes.

Pour compléter un événement qui se déroule sur plusieurs jours, ou y performer, un athlète doit maintenir son niveau d’éveil et sa capacité à prendre de bonnes décisions à un niveau optimal. La stratégie de sommeil et des pauses adoptée par les participants jouera un rôle crucial sur leur état de vigilance et la régulation de leurs émotions, bien que ce dernier facteur ait rarement été évoqué. Alors que l’étude No Improvement in Race Performance by Naps in Male Ultra-Endurance Cyclists in a 600-km Ultra-Cycling Race (2012) conclut que les participants à une course d’ultracyclisme de 600 km qui ont dormi pendant l’épreuve n’ont vu aucun avantage sur leur performance globale, d’autres chercheurs questionnent les effets que peuvent engendrer, à plus long terme, des cycles de sommeil perturbés sur la santé mentale des athlètes.

La plupart des auteurs s’accordent pour dire que la gestion du sommeil dans une course plus courte différera grandement de celle d’une course s’échelonnant parfois sur plus d’une semaine, et on peut s’attendre à ce que les impacts soient différents eux aussi.

Même si certains athlètes bien entraînés, qu’ils soient professionnels ou amateurs, arrivent à bien performer dans des conditions extrêmes de privation de sommeil et de cycles circadiens perturbés, aucun n’est à l’abri de subir des effets négatifs sur son métabolisme, sa santé mentale ou sur sa performance à plus long terme.

En effet, des études (notamment Extreme sports performance for more than a week with severely fractured sleep (2021)) indiquent qu’une privation de sommeil prolongée peut altérer négativement les fonctions cognitives d’une personne, contribuer à augmenter son stress et occasionner des troubles de l’humeur jusqu’à un mois suivant un événement d’ultraendurance. Les conditions extrêmes dans lesquelles se trouvent souvent les participants à des courses d’ultracyclisme pourraient aggraver ces conséquences.

En fouillant dans la littérature scientifique, on ne peut que constater la rareté des ouvrages sur les impacts à long terme sur la santé mentale qu’engendre la privation du sommeil chez les adeptes d’ultracyclisme. Dans A narrative review of sleep deprivation in ultra-endurance cycling (2023), les auteurs font d’ailleurs un important plaidoyer quant à la nécessité de documenter davantage les impacts psychologiques de la privation du sommeil lors d’événements d’ultracyclisme, et souhaitent ouvrir la discussion à ce propos.

À mon sens, il y a aussi une question de culture et d’orgueil autour de l’organisation d’événements de cette ampleur. Une course non supportée qui se targue d’être la plus difficile, en imposant volontairement des fenêtres de temps très serrées augmente la possibilité que les participants se mettent à risque en limitant les pauses et en sacrifiant le sommeil. L’idée n’est pas de remettre en question l’existence des courses d’ultracyclisme non supportées, bien au contraire, puisque tous ont le choix d’y participer ou non et le choix du nombre d’heures de sommeil à y consacrer, mais plutôt d’informer et d’éduquer la communauté. Dans le volet élite, de la même manière que les athlètes sont suivis par des professionnels pour leur santé physique et psychologique, il pourrait être pertinent qu’ils reçoivent aussi de l’aide pour gérer sainement leur sommeil et les potentiels effets délétères qu’une perturbation des cycles circadiens pourrait engendrer sur leur santé psychologique.

Enfin, saluons l’initiative de certaines organisations comme BikingMan ou le site RideFar qui rendent disponibles des ressources sur les stratégies de course à adopter, dont des conseils sur la gestion du sommeil, lors des événements d’ultracyclisme.

Damian Grandjanny au kilomètre 780 (village de Speloncato) du Biking Man de 2021 en Corse. Les coureurs doivent parcourir les 1000 km sans assistance.


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Geneviève Healey

Fervente amatrice de données, ultracycliste à ses heures et instructrice de cardio-vélo à temps partiel, Geneviève carbure aux défis d’endurance. Elle rédige du contenu pour divers blogues, y décrivant entre autres ses aventures sportives, que vous pouvez suivre via @genevievehealey

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