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La fameuse séance Giménez

On me demande souvent ce que je pense de la séance d’entraînement cycliste appelée la Giménez, du nom du médecin du sport français qui l’a proposée comme moyen d’apprécier la condition physique de personnes saines et handicapées dans le cadre de son doctorat, entre 1982 et 1992.

C’est une formule qui n’est pas inintéressante, mais elle jouit bizarrement d’une popularité qui met dans l’ombre des tas d’autres formules au moins aussi pertinentes.

La formule

La Giménez, comme on dit dans le milieu cycliste européen, est une séance d’entraînement par intervalles (EPI) de 45 minutes, composée de neuf fractions d’effort d’une minute à 100 % de la puissance aérobie maximale (%PAM), entrecoupées de périodes de quatre minutes à une intensité comprise entre 60 % et 75 % de la PAM.

Pour mettre ces paramètres en perspective, sachez que 100 % PAM est une intensité que l’on peut maintenir pendant environ 5 minutes au cours d’un test maximal continu, alors qu’on tient à peu près 60 % PAM pendant une sortie plutôt facile d’une heure ou deux, et 75 % PAM si on y met beaucoup d’effort.

Comme la plupart des séances d’EPI, la Giménez est certainement meilleure pour le développement de l’aptitude aérobie (le VO2max, la PAM et l’endurance) et la capacité anaérobie que les sorties d’entraînement continu de même degré de difficulté.

Récupération incomplète

La Giménez se distingue des formules courantes d’EPI par l’intensité relativement élevée des périodes de récupération entre les fractions d’effort. En effet, la fourchette d’intensités des périodes de quatre minutes (60-75 %PAM) se situe à un niveau plus élevé que ce que les cyclistes et les entraîneurs choisissent généralement, c’est-à-dire 30-50 %PAM. Si on calcule la moyenne de l’intensité sur 45 minutes, on obtient 68 ou 80 % PAM, selon qu’on pédale à 60 ou 75 %PAM pendant les périodes où l’on est sensé récupérer. Or, tenir 80 %PAM pendant 45 minutes, c’est difficile en continu… et donc extrêmement difficile en intermittent.

Des simulations informatiques effectuées par mon collègue Jérémy Briand, champion canadien de triathlon olympique 2019, indiquent qu’avec des périodes de « récupération » à 65 % de la PAM entre les minutes à 100 %PAM, exécuter cette séance est aussi difficile que d’égaliser son record sur un test continu de 45 minutes.

Pendant la Giménez, les premières secondes de « récupération » après chaque fraction d’effort ne sont pas aussi faciles qu’on le souhaiterait. On entame donc chacune des dernières répétitions en sentant qu’on n’a pas parfaitement récupéré. Bref, la Giménez peut être très difficile si on s’impose une intensité élevée entre les fractions d’effort.

Son intérêt

Les variations de l’effort pendant la Giménez ressemblent en quelque sorte à celles qu’on subit (ou qu’on s’impose !) pendant une course cycliste. Par exemple, pendant une échappée où cinq, l’intensité est certes moins élevée quand on est calé dans une roue que quand on « tire » à l’avant, mais on continu de travailler quand même pas mal fort ! Voilà pourquoi je crois que sans être la panacée, la Giménez (ou, encore mieux, ses nombreuses variantes) peut avoir sa place dans les dernières semaines précédant des compétitions importantes. Mais comme c’est une séance de degré de difficulté très élevé, il n’est pas indiqué de l’exécuter tout au long de l’année.

Mieux vaut d’abord mettre l’accent sur des séances d’EPI où l’on s’alloue des périodes de récupération à faible intensité. Il est préférable d’attendre d’avoir bien développé ses qualités physiques avant de passer à des séances avec récupération incomplète.

Variantes encore plus intéressantes

J’ai demandé à plusieurs cyclistes s’ils connaissaient la Giménez. La majorité des camarades d’Amérique, et tous les Européens m’ont répondu oui. Mais j’ai vite réalisé qu’ils appelaient Giménez une séance s’apparentant à la formule d’origine, mais avec plusieurs améliorations.

Beaucoup d’autres formules avec récupération incomplète ou complète entre les répétitions d’effort présentent à mes yeux plus d’intérêt que la formule d’origine. J’en ai discuté avec Bruno Langlois, champion canadien de cyclisme sur route en 2016, et entraîneur chevronné. On s’est rapidement mis d’accord pour affirmer qu’on a avantage à apporter des modifications comme les suivantes :

  • Exécuter un plus grand nombre de répétitions (au moins une vingtaine) d’une minute à 100-110 %PAM. Cela permet d’accumuler plus de temps à intensité correspondant au VO2max.
  • Diviser ces répétitions en séries avec un nombre décroissant de répétitions par série (ex. séries de 6, 5, 4, 3 et 2 répétitions, pour un total de 20), en s’allouant 5 minutes à moins de 50 %PAM entre les séries. Cela favorise le maintien de la motivation : on a moins de répétitions à faire à chaque série, alors on peut continuer à se donner à fond.
  • Réduire la durée des périodes de « récupération » entre les répétitions à 2-3 minutes. Cela évite d’allonger indûment la séance.
  • Faire les premières secondes des périodes de « récupération » à intensité très faible, voire nulle, puis le reste à 50-65 %PAM. D’ailleurs, quand on examine le schéma de séances Giménez exécutées par des professionnels, on se rend compte qu’ils s’allouent spontanément une diminution marquée de la puissance immédiatement après chaque fraction d’effort.

Soyons sérieux

Ce qui me déplaît dans la Giménez, ce n’est pas la formule en tant que telle. C’est que depuis quatre décennies on la présente dans diverses chroniques comme le Graal de l’entraînement d’aujourd’hui. Il y a quelque chose d’un peu ridicule dans ces nombreuses chroniques qui ont érigé en religion la Giménez. C’est un peu comme si les chroniqueurs œnologiques revenaient toujours et encore sur La Fiole du Pape. On peut aimer La Fiole du Pape, mais des vins d’intérêt, il y en a des milliers d’autres !

D’autres séances fétiches

À noter qu’il existe deux autres types de séances qui sont aujourd’hui très populaires :

  • Les fameuses séances d’EPI en 30-30 : je les aime bien, notamment parce qu’elles permettent d’accumuler plusieurs minutes de pédalage à une intensité égale ou proche de celle correspondant au VO2max
  • La Tabata, qui consiste à enchaîner huit répétitions de 20 secondes avec seulement 10 secondes de récupération : je ne l’aime pas, parce que l’intensité et la qualité de la gestuelle se détériorent au fil des répétitions, à cause de l’impossibilité de récupérer suffisamment en seulement 10 secondes.

Outils pratiques

Pour bien composer une séance d’EPI, il faut faire des choix judicieux parmi une grande étendue de possibilités pour chacune de ses composantes, d’où la nécessité de se référer à un modèle, par exemple le modèle graphique présenté ici, qui est couramment utilisé depuis plusieurs années, tant par des athlètes de haut niveau que des sportifs du dimanche et leur entraîneur. On peut aussi se servir de notre application 3-2-1 Go !. Elle facilite l’exécution de 17 séances d’EPI conçues pour maximiser la motivation de même que les effets positifs sur les déterminants de la performance en sports dits d’endurance : VO2max, PAM, VAM, endurance et capacité anaérobie.

Pas de panacée

Si l’une ou l’autre des séances issues de ce modèle ou présentées dans notre application devient votre séance fétiche, je vous invite à vous rappeler que bien d’autres formules d’EPI peuvent également avoir de l’intérêt, tant sur le plan de la motivation que de l’amélioration et le maintien des déterminants de la condition physique et de la performance. Je parie que Dr Manuel Giménez partage mon avis !


Références
Square-wave endurance exercise test (SWEET) for training and assessment in trained and untrained subjects. I. Description and cardiorespiratory responses (1982).

Square-wave endurance exercise test (SWEET) for training and assessment in trained and untrained subjects. II. Blood gases and acid-base balance (1982). 

Giménez M (1992) L’épreuve en créneaux pour l’entraînement et la mesure de l’endurance : I.- effets physiologiques et biochimiques ; II.- application et résultats chez l’homme normal et handicapé. Thèse de l’Université de Nancy.


Avec la participation de Bruno Langlois et de Jérémy Briand


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Guy Thibault

Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.

  1. Le Boulanger dit :

    Bonjour Mr Thibault, merci de rendre accessible vos recherches. Je suis conscient qu'il n'existe pas de séances miracles concernant le développement de la Pam. Mais je suis toujours dans le doute concernant ma programmation de séances pour développer la Pam.
    Est il préférable de favoriser les séances avec des temps de récupération long de type (1-2) permettant de réaliser un grand nombre de répétitions @ 100% de la Pam mettant l'accent sur les adaptations périphériques, ou au contraire de programmer des séances de type( 1-0.5) tel que la fameuse séance du docteur Ronnestad (3 x 13 x 30"15" mettant l'accent sur les adaptations du système central et le temps passé à vo2max. Enfin comment organiser les séances pour augmenter le temps de maintien à vo2max,, est il correct avant une séance classique de 30"30" de réaliser un a deux efforts d'une durée de 2 minutes @100%pam pour accrocher plus rapidement vo2max.
    Merci de votre patience si vous avez pris le temps de lire la totalité de mes questions.
    Arnaud

  2. Robert Boileau dit :

    Bonjour! Mr. Thibault que pensez-vous des entrainement sweet-spot (84%-97%) de la puissance 20 minutes très populaire chez les américains.

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