Toutes sortes d’idées circulent à propos de la répartition de l’effort en contre-la-montre.
Certains prêchent pour les départs canons, d’autres pour un début conservateur. Pour plusieurs, l’intensité de pédalage (la puissance) devrait demeurer constante. Qu’en dit la recherche ?
L’étude Impact of starting strategy on cycling performance indiquait que pour réaliser une performance à la hauteur de son talent en contre-la-montre, il faut rouler les premiers kilomètres à intensité modérée. Le professeur Mattern et ses collègues de la University of New Hampshire ont demandé à 13 jeunes cyclistes d’expérience de faire trois épreuves chronométrées de 20 km simulées sur un home trainer « intelligent ». La puissance pendant les quatre premières minutes d’effort était soit choisie spontanément par le cycliste ou bien imposée à 15 % plus élevée ou à 15 % moins élevée.
Dix sujets sur 13 ont réalisé leur meilleure performance pendant le contre-la-montre avec départ lent (performance moyenne : 32 min 15 s).
Fait surprenant, c’est pendant l’épreuve à puissance choisie spontanément qu’ils ont réalisé leur moins bonne performance (33 min 6 s) !
On en conclut qu’il est préférable d’en garder sous la pédale pendant les premières minutes afin d’être en mesure de mettre toute la gomme pendant le reste du contre-la-montre. On comprend que partir trop vite revient à gagner quelques secondes seulement, mais engendre une « dette » qui affecte pendant longtemps notre aptitude à se donner à fond.
Les résultats de l’étude The effect of self- even- and variable-pacing strategies on the physiological and perceptual response to cycling vont dans le même sens. Les auteurs ont évalué les effets d’une puissance de travail uniforme ou non sur la performance au contre-la-montre de 20 km. Les 15 cyclistes bien entraînés qui ont participé à cette étude ont d’abord effectué trois contre-la-montre de 20 km simulés en laboratoire, avec pour consigne de parcourir la distance le plus rapidement possible. La puissance moyenne du meilleur test (record personnel) a été retenue pour les deux tests subséquents.
Dans l’un de ces tests, les sujets devaient essayer de tenir la puissance moyenne de leur record sur au moins 20 km, sans avoir la possibilité de varier leur puissance de pédalage (ils avaient toutefois la possibilité de changer de cadence comme bon leur semblait). Dans l’autre test, les sujets devaient viser globalement la puissance moyenne de leur meilleur test préalable, et ils pouvaient varier leur puissance de pédalage tout au long du chrono.
On se serait attendu à ce que des participants parviennent à tenir la puissance imposée pendant 20 km. Cela revient à égaler leur propre record. Mais en réalité, neuf des quinze participants n’ont réussi à faire que 51 % à 83 % des 20 km à la puissance imposée. Et ces mêmes sujets ont aussi échoué au test où ils étaient libres de varier leur puissance de pédalage.
Qu’est-ce qui caractérise le profil d’évolution de l’intensité chez les sujets qui ont réussi à tenir globalement sur 20 km la puissance moyenne de leur record personnel ? Ils avaient opté pour une stratégie plus conservatrice au début du test. Globalement, ils ont effectué les six premiers kilomètres à une puissance 1 % à 4 % inférieure à la puissance moyenne visée. Au contraire, ceux qui ont échoué avaient misé sur un départ rapide : ils avaient parcouru les six premiers kilomètres à une puissance 1 % à 2 % supérieure à la puissance moyenne visée.
Ces résultats jettent un doute sur la valeur de la stratégie consistant à tenir la même intensité tout au long d’un contre-la-montre.
On peut penser que sur un parcours plat et sans vent, les cyclistes auraient avantage à miser sur un départ conservateur, puis se permettre de légers changements de rythme. Chose certaine, sur un parcours vallonné ou venteux, il est préférable d’intensifier le pédalage en montée et en vent de face plutôt que de chercher à pédaler à une puissance fixe tout au long de l’épreuve. En effet, la vitesse doit être la plus constante possible pour parcourir une distance en un temps le plus court possible.
Conseils pratiques
Au signal du départ, serrez fortement le guidon en prise large et démarrez de manière explosive. Mais réduisez progressivement l’effort entre le premier tour de manivelles et les derniers coups de pédale en danseuse, pour ne pas contracter une « dette » qui pourrait vous coûter plusieurs secondes « d’intérêt ». Ainsi, faites le premier tour de manivelle à intensité maximale – il faut vaincre l’inertie –, mais faites les suivants à approximativement 90, 80, puis 70 % de votre puissance maximale.
Lorsque vous sentez le besoin de passer à la position assise, restez en danseuse encore pendant 5 à 10 secondes, mais avec un développement un peu plus grand (2 ou 3 dents) et un effort sensiblement réduit, en cherchant à vous détendre. Puis, passez en position assise sans arrêter de pédaler, et mettez immédiatement un développement plus petit pour que votre cadence se situe dans la fourchette de 90 à 105 rpm. Maintenez une intensité réduite d’à peu près 10 % à 15 % par rapport à l’intensité moyenne visée pour l’ensemble de la course, jusqu’à ce que vous ayez la sensation d’être en pleine possession de vos moyens.
Idéalement, il vous faudra moins de 30 s à régime conservateur pour vous assurer que l’effort du départ ne laisse pas de séquelles, et pour sentir que vous avez les jambes et la tête pour vous pousser à fond jusqu’à la fin de la course. Mais si vous sentez le besoin de demeurer à bas régime plus longtemps, vous pouvez vous allouer jusqu’à 1 min de pédalage à intensité modérée, avant de mettre le turbo.
Au cours des premiers kilomètres, répétez-vous sans cesse un mantra qui vous invite à en garder sous la pédale, par ex. : « Pas trop vite, je me garde de l’énergie pour finir fort ».
Pendant le corps du contre-la-montre, répétez-vous sans cesse un mantra qui vous invite à maintenir ou à augmenter l’effort avec une progression extrêmement lente. Sur un parcours plat et sans vent, vous avez avantage à arriver à mi-parcours avec un retard d’à peu près 1 % par rapport au tempo moyen visé. Dans les tronçons plus difficiles (vent de face, montées), adoptez une intensité de pédalage plus élevée (dès que l’occasion se présente, passez à un braquet un peu plus grand et roulez en danseuse), quitte à réduire l’effort dans les tronçons moins ardus. Concentrez-vous sur votre rythme respiratoire (meilleur indice de l’intensité de votre effort).
Correction de l’intensité
Si vous avez la sensation de ne pas pédaler à une intensité suffisamment élevée, attendez au moins une minute avant d’augmenter l’effort. Cependant, si vous avez la sensation de pédaler à une intensité trop élevée, réduisez immédiatement votre intensité de pédalage.
Inspirez la bouche bien ouverte (pour que la résistance à l’entrée d’air soit la plus petite possible), mais pincez légèrement les lèvres lors de l’expiration (pour augmenter sensiblement la pression de l’air dans les poumons, ce qui facilite la diffusion de l’oxygène de l’air inspiré vers la circulation sanguine).
Pendant les deux ou trois derniers km, s’il vous reste de l’énergie, augmentez l’intensité de pédalage en donnant tout ce qui vous reste, comme si la ligne d’arrivée était située à quelque 300 m avant la vraie ligne. Répétez-vous sans cesse un mantra qui vous invite à fournir un effort très intense, garantissant que vous aurez bel et bien tout donné au moment où vous passerez la ligne d’arrivée, ex. : « Je me défonce, je donne tout ce que j’ai ».
Cette formule devrait vous permettre de vous présenter en pleine possession de vos moyens devant cet impitoyable juge qu’est le chrono !
Séance d’entraînement pour un contre-la-montre
Effectuez chaque semaine une séance d’entraînement fractionné dans des conditions (équipement, type de parcours, etc.) qui se rapprochent le plus possible de celles que vous êtes susceptible de rencontrer en compétition. Divisez le parcours du chrono en cinq tronçons de distance à peu près égale, et roulez chacun d’eux (avec un départ arrêté) à une intensité semblable à celle que vous croyez pouvoir adopter en compétition. Allouez-vous 5 min de récupération mi-active, mi-passive entre les répétitions. Notez dans quelle fourchette de puissances de pédalage (ou de fréquences cardiaques) vous avez tendance à rouler.
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