NATURE HUMAINE

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Ignorances scientifiques et le sport

Il se publie chaque semaine un nombre élevé et grandissant d’études scientifiques qui peuvent avoir des applications pratiques en entraînement sportif. Sont-elles bien répercutées sur le terrain ?

Je crois qu’il y a beaucoup de lacunes. Au moins les trois suivantes :

  • Application pratique fautive – Il se fait des tas de choses en entraînement sportif qui sont censées être basées sur des connaissances scientifiques, alors qu’en réalité les concepts auxquels elles réfèrent sont mal interprétés ou carrément faux.
  • Qu’est-ce qu’on attend ? – Il y a des connaissances scientifiques cruciales que l’on tarde à appliquer sur le terrain.
  • Quid – Il y a des questions extrêmement pertinentes qui ne sont pas suffisamment étudiées.

Voici des exemples


Application pratique fautive : le «fameux» lipoxmax

Plusieurs prétendent que pour perdre de la graisse, on aurait intérêt à s’entraîner à intensité modérée et d’éviter les pointes d’effort. Il est vrai que plus l’intensité d’exercice augmente, plus le métabolisme repose sur les glucides (sucre) et moins sur les lipides (graisse). Par contre, plus l’intensité est faible, moins on dépense d’énergie. L’intensité où le taux d’utilisation des lipides culmine (qu’on appelle lipoxmax) est donc assez élevée pour s’accompagner d’une dépense d’énergie appréciable, mais pas trop élevée pour éviter d’utiliser une trop grande proportion de glucides.

S’entraîner à lipoxmax semble intuitivement la meilleure façon de maigrir. Mais en réalité, il ne sert à rien de chercher à s’entraîner à lipoxmax !

Si vous utilisez plus de lipides pendant la période d’entraînement, vous en utiliserez moins pendant les heures qui suivront la séance. Inversement, si vous utilisez plus de glucides pendant la période d’exercice – c’est ce qui se passe pendant un entraînement par intervalles (EPI) –, vous utiliserez davantage de lipides pendant la période de récupération.

Au bout du compte, à dépense énergétique égale, que l’entraînement ait été effectué à une intensité faible ou élevée, la quantité totale de lipides oxydée en prenant compte de la période d’exercice et de la période de récupération est la même.

Le lipoxmax existe bel et bien, mais il n’a pas l’application pratique que plusieurs lui prêtent.

Pour maximiser l’amaigrissement, tout ce qui compte, c’est de créer un déficit calorique, peu importe comment.

D’ailleurs, plusieurs études indiquent que l’EPI à intensité élevée, même s’il s’accompagne de la combustion d’un mélange de substrats comprenant plus de glucides que de lipides, provoque finalement un plus grand amaigrissement. Pour en savoir plus sur le sujet : Existe-t-il une intensité d’entraînement qui favorise la perte de poids ?


Qu’est-ce qu’on attend ? : le pré-refroidissement

C’est aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004 qu’on a commencé à voir des olympiens utiliser des vestes thermiques afin de se pré-refroidir avant le départ d’une compétition qui allait se dérouler sous une chaleur intense. Normal ! De nombreuses recherches indiquent clairement qu’il est très avantageux de prendre le départ avec une température corporelle inférieure de un ou deux degrés Celsius par rapport aux concurrents.

Cela retarde le moment où on est pénalisé par la surchauffe. D’où une performance globalement meilleure. Ce qui n’est pas normal, en revanche, c’est que les participants à des sports d’endurance ne l’aient pas fait avant !

C’est depuis les années 1970 qu’on trouve dans la littérature scientifique des rapports de recherche montrant l’intérêt du pré-refroidissement. Anecdote : quand j’ai recommandé aux équipes cyclistes canadiennes se préparant pour les Jeux olympiques d’Atlanta 1996 d’appliquer une technique de pré-refroidissement, on a d’abord pensé que je faisais une blague !

Il y a bien d’autres connaissances scientifiques pertinentes qui ne sont pas encore appliquées sur les terrains de sport, par exemple celles ayant trait au préconditionnement ischémique. Il en sera question bientôt dans une chronique nature-humaine.ca.


Quid : les séances idéales d’entraînement par intervalles (EPI)

Toutes les recherches où l’on a mesuré la performance avant et après une période d’entraînement mettant l’accent sur une forme particulière d’EPI (plutôt que l’entraînement continu) ont donné de bons résultats. (Si vous connaissez une exception, prière de me communiquer la référence de l’étude.)

Par exemple, des études montrent qu’avec quelques séances de sprints maximaux de 10 à 30 secondes avec des récupérations de deux à trois minutes, on obtient très rapidement (quatre à six séances en aussi peu que deux semaines) une amélioration significative de la consommation maximale d’oxygène (VO2max) et de l’endurance.

Mais on ne sait pas si l’on obtiendrait des effets bénéfiques encore plus importants en appliquant pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, de telles formules brèves. On ne sait pas non plus si les améliorations seraient encore plus prononcées avec, par exemple, un nombre accru de répétitions, une récupération plus courte entre les sprints, une variation de la durée de sprints en cours de séance, etc. Et on ne sait pas encore si ces entraînements extrêmement brefs (testés surtout auprès de personnes en bonne forme) peuvent donner d’aussi bons résultats pour les athlètes d’endurance de haut niveau.

Il y a bien d’autres questions d’entraînement sportif extrêmement pertinentes qui ne font pas encore l’objet de recherches, par exemple : est-ce qu’on peut s’améliorer davantage en combinant des séances d’EPI avec des séances de visualisation ou de méditation pleine conscience ?


Bref

Même s’il y a un très grand nombre d’études sur l’entraînement sportif, plusieurs sont mal interprétées sur le terrain ou appliquées longtemps après leur publication, et il y a des tas de questions pertinentes sur lesquelles on tarde à se pencher.


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Guy Thibault

Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.

  1. Guillaume dit :

    Merci pour cet article, très intéressant. Si vous me permettez quelques questions:

    Certains comme Stephen Seiler ou Steve Magness disent que les entraineurs sur le terrain ont appris ce qui fonctionne après beaucoup d'essais et erreurs, et que les scientifiques sont venus après expliquer pourquoi cela fonctionne.

    1) Considérant que la Recherche dans le domaine sur Sport n'est pas réglementé comme en Recherche Clinique/Développement du médicament (ICH, Bonnes Pratiques Cliniques – GCP, Santé Canada/FDA/EMA…). On nous a toujours dit à l'Université que la vie d'un médicament commence lorsque mis en marché dans la pratique réelle hors du contexte contrôlé de la recherche.
    – Comment vous faites le lien entre les résultats des études en sport sur des durées de quelques semaines et les transposer chez des athlètes sur des années avec leurs contraintes réelles ne pouvant pas être pris en considération dans les études au Lab?
    – Y a-t-il des Agences réglementaires qui approuvent ces études et finalement la pratique qui s'en suit?

    2) Dans son livre "The Science of Running", Steve Magness tente de lier le Lab et le terrain comme allant de paire. Dr. J.Daniels dit dans son livre "Daniels Formula" que les scientifiques ne devaient pas entrainer les athlètes mais plutôt collaborer avec les entraineurs et leur apporter le supplément de connaissances sur comme ça fonctionne au niveau physiologique.
    – Qu'en pensez-vous?

    Merci par avance 🙂

    1. Bil dit :

      Commentaire hyper intéressant mais à mon humble avis il ne convient pas d'exiger la même rigueur de la Recherche Clinique & Médicale comparée avec celle dans le Sport & Nutrition, il s'agit de domaines très différents tant du point de vue réglementation mais aussi de leurs missions respectives. Les physiologistes font de leur mieux pour enrichir le travail des entraineurs sur le terrain mais cela reste incomparable à la Recherche dans le domaine de la Santé. Sur ce, bon entrainement.

  2. James dit :

    Intéressé aussi par ces études comparant des protocoles d'EPI seulement vs EPI+ Endurance fondamentale (60-65% VAM), aussi des études sur de longues durées de 2-3 ans s'il en existe sachant les défis que relèvent de telles durées. Merci par avance,

  3. Félix dit :

    Bonjour, je ne connais qu'une seule étude montrant une supériorité de LSD vs un mix de LSD et entraînement entre LT et VO2pk (l'entraînement n'est pas détaillé par contre). Ingham et al. 2008 (DOI: 10.1249/MSS.0b013e31815ecc6a).
    En outre, une étude que j'aimerais vraiment lire serait la comparaison entre un entraînement constitué seulement d'intervalles vs un comparable, mais contenant aussi du continu lent pour voir si ce dernier mode sert vraiment à quelque chose.

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