Entraînement en Zone 2 : nec plus ultra, ou une autre étourderie scientifique ?
27 juin 2015
Guy Thibault
Popularisé surtout par Dr Iñigo San Millán, qui conseille notamment le champion cycliste Tadej Pogačar, l’entraînement en Zone 2 est très à la mode. Que faut-il en penser ?
C’est la moooode !
Au cours des derniers mois, on a vu fleurir une myriade d’articles de magazines, de vidéos YouTube et de posts Instagram, tous vantant les mérites de l’entraînement en Zone 2 (suivant une nomenclature en 5 zones d’intensité), comme s’il s’agissait de la fontaine de jouvence sportive. C’est le dernier cri, le truc à la mode, la crème de la crème, le nec plus ultra de la préparation physique d’aujourd’hui. Ou du moins, c’est ce qu’on veut nous faire croire.
Dr Iñigo San Millán
Directeur du laboratoire de physiologie de l’exercice et de performance humaine à la faculté de médecine de l’Université du Colorado, il est également professeur adjoint à la faculté de médecine de cette université. Ses publications scientifiques portent surtout sur le cancer et le diabète. Le fait qu’il conseille des vedettes sportives, notamment les coureurs de l’équipe cycliste professionnelle UAE Team Emirates, n’est sans doute pas étranger au fait qu’il est si adulé sur les terrains de sport, même s’il n’est pas vraiment une figure familière dans la communauté internationale des scientifiques du sport.
Ce qui frappe à propos de cette fameuse Zone 2 :
- plusieurs en parlent ;
- peu savent ce que c’est précisément ;
- les « preuves » de son intérêt sont plus anecdotiques que scientifiques.
Le concept
Mais quelle est donc cette fameuse « Zone 2 » ?
Serait-ce un niveau de conscience supérieur que seuls les yogis les plus avancés peuvent atteindre ? Eh bien, détrompez-vous, car la réalité est bien plus… banale. En réalité, s’entraîner en Zone 2 est simple. Et très courant. Extrêmement courant ! Pratiquement tous les participants en sports d’endurance s’entraînent beaucoup en Zone 2, sans nécessairement le savoir. Un peu comme monsieur Jourdain, dans la pièce de Molière, « faisait de la prose à tout moment sans le savoir ». Je parie que les sprinters olympiques personnifiés dans le film Chariots of fire en étaient adeptes ! (Si vous ne voyez pas de quoi il s’agit, demandez à vos parents).
Les fervents de la Zone 2 sont un peu flous sur sa définition (le Dr San San Millán aussi d’ailleurs), et il ne semble pas y avoir vraiment consensus, ce qui n’est pas très rassurant. Mais on serait en Zone 2 quand on pratique notre activité aérobie (nager, pédaler, courir, skier, patiner, etc.) à une intensité ni faible, ni élevée. Voici des repères :
- concentration de lactate dans le sang ne dépassant pas 2 millimoles par litre (donc sous le seuil anaérobie) ;
- consommation d’oxygène (VO2) entre 55 % et 75 % de la consommation maximale d’oxygène (VO2max) ;
- fréquence cardiaque à environ 60 % à 70 % de la fréquence cardiaque maximale ;
- rythme tel que l’on peut encore tenir une conversation sans perdre son souffle (ce qui – soyons honnêtes ! – est généralement le moment où l’on discute des derniers potins plutôt que de repousser ses limites).
Justification
La principale justification avancée pour l’entraînement en Zone 2 est que cela améliorerait la capacité des mitochondries musculaires à utiliser l’oxygène de manière plus efficace, favorisant ainsi l’oxydation des graisses comme source d’énergie. Cela permettrait d’économiser les réserves de glycogène musculaire, ce qui est particulièrement avantageux pour les épreuves d’endurance de très longue durée.
Mérites
L’entraînement en Zone 2 n’est certes pas sans mérites. Ce n’est pas pour rien qu’il constitue la majeure partie de l’entraînement de plusieurs sportifs depuis toujours ! Voici quelques-uns de ses mérites :
- À cette intensité « entre deux eaux », on peut faire de séances de plusieurs heures, ce qui est sans doute utile pour la préparation mentale et physique en vue de compétitions particulièrement longues.
- En stimulant la circulation sanguine, les séances en Zone 2 favorisent la récupération entre les séances d’entraînement plus intenses.
- Chaque minute passée en Zone 2 s’accompagne d’une dépense calorique évidemment plus grande qu’à intensité inférieure, ce qui peut présenter un certain intérêt quand on a des soucis adipeux.
- On a de bonnes raisons de penser que les intensités d’exercice de la Zone 1 ne sont pas suffisamment élevées pour s’accompagner d’une amélioration du VO2
- Plusieurs pensent (mais pas moi) que si l’on ne s’entraînait qu’aux intensités supérieures à celles correspondant à la Zone 2, la charge d’entraînement pourrait devenir excessive, d’où un risque de surentraînement ou de blessure d’usure (ça reste à être prouvé).
Ce qui est ridicule
« La preuve que la mode est ridicule, c’est qu’elle change tout le temps », dixit Oscar Wilde
C’est donc OK de s’entraîner en Zone 2.
Ce qui cloche, ce n’est pas la Zone 2, c’est la « religion », le « culte » de l’entraînement d’intensité modérée. D’ailleurs, faisant preuve d’un sens critique digne d’un vrai scientifique, le Dr Iñigo San Millán lui-même écrivait (dans un message Twitter de janvier 2023) : Please let’s not make a cult of Z2, ce qui donne en français « S’il vous plaît, n’érigez pas l’entraînement en Zone 2 en un culte ! ».
Le culte de la Zone 2 est très surprenant alors qu’un très grand nombre d’études montrent l’intérêt de l’entraînement par intervalles (EPI) avec fractions d’effort d’intensité élevée et très élevée. En réalité, toutes les intensités moyennes (Zone 2), élevées et très élevées d’entraînement sont manifestement intéressantes. Je propose un modèle financier pour faire ressortir cela.
Un modèle financier
Pour faire ressortir que toutes les plages d’intensités cibles élevées et très élevées sont intéressantes, faisons une analogie avec la finance. Accumuler à chaque séance d’EPI quelques minutes d’exercice à intensité très élevée, c’est comme investir une petite somme d’argent dans un compte bancaire offrant un taux d’intérêt très élevé. En revanche, accumuler à chaque séance un plus grand nombre de minutes d’entraînement à intensité moins élevée, c’est comme investir une plus grande somme d’argent dans un compte bancaire à intérêt moins important. Dans les deux cas, il y a retour sur l’investissement. Ainsi, que l’on fasse un très grand volume d’entraînement à intensité moyenne ou un plus petit volume à intensité élevée, ou un volume encore plus petit à intensité encore plus élevée, on stimule toujours le développement de nos qualités physiques. D’où l’idée suivante : tout comme les financiers diversifient leur portefeuille, les sportifs ont peut-être intérêt à s’entraîner dans une large gamme d’intensités. Je crois (mais je n’en ai pas la preuve ; alors n’érigez surtout pas cela en culte !) que l’erreur à ne pas commettre serait de ne miser que sur l’entraînement à intensité faible ou moyenne (ex. : zones 1 et 2 suivant la nomenclature de Dr San Millán). Cela nous priverait des effets bénéfiques d’entraînements intensifs qui prennent moins de temps.
« Brûler » un maximum de graisse ?
L’argument le plus souvent avancé pour valoriser la plage d’intensités correspondant à la Zone 2 est qu’elle maximise l’utilisation des graisses comme source d’énergie. D’où, théoriquement, une moins grande difficulté à perdre de la graisse. Mais comme on l’a vu dans Existe-t-il une intensité d’entraînement qui favorise la perte de poids ?, si l’on oxyde plus de lipides pendant la période d’exercice, on en utilise moins pendant les heures de récupération qui suivent. À la fin de la journée, si l’on fait le bilan de la quantité totale de lipides oxydés pendant l’exercice et pendant la période de récupération, on observe que cette quantité globale est totalement indépendante de l’intensité à laquelle l’exercice a été effectué. En réalité, les personnes qui désirent perdre du poids auraient avantage à s’entraîner à l’intensité la plus élevée possible (si leur condition physique le permet), surtout si le temps dont elles disposent est limité.
Il y a d’autres arguments défavorables vis-à-vis de l’entraînement mettant trop l’accent sur la Zone 2 :
- il ne prépare pas bien les sportifs aux fréquentes situations de course où l’intensité est élevée (ex. montées abruptes, sprints), car l’intensité n’est pas assez importante pour améliorer la capacité anaérobie (voir La capacité anaérobie : qualité négligée ?) ;
- un pourcentage très élevé (souvent plus de 90 %) de l’énergie dépensée dans les compétitions en sports d’endurance découle de l’oxydation des glucides (sucre) et non pas des lipides, et (contrairement à ce qui est véhiculé sur les terrains de sport) l’entraînement à intensité élevée ou très élevée améliore aussi le métabolisme des lipides ;
- le nombre de capillaires artériels autour des fibres musculaires augmente avec l’entraînement d’intensité élevée tout comme avec l’entraînement en Zone 2.
Tout cela sans compter qu’étant donné que les séances d’entraînement en Zone 2 sont souvent plus longues, les adeptes doivent y consacrer plusieurs heures chaque semaine, ce qui peut être difficile à concilier avec d’autres obligations personnelles ou professionnelles.
D’éminents physiologistes de l’exercice se prononcent
Stephen Seiler – Professeur de sciences de l’exercice à l’Université de Agder en Norvège : bien que Dr Seiler ait souligné les avantages de l’entraînement en Zone 2, il a également mis en garde contre une surestimation excessive de cette approche, soulignant que d’autres zones d’intensité sont également importantes pour maximiser les performances.
Ross Tucker – Chercheur en sciences du sport et analyste du site Science of Sport : Dr Tucker a émis des critiques sur l’approche dogmatique de l’entraînement en Zone 2, soulignant que l’entraînement doit être adapté aux besoins individuels et aux exigences spécifiques de chaque discipline sportive.
Andy Jones – Professeur de physiologie de l’exercice à l’Université d’Exeter au Royaume-Uni : Dr Jones a remis en question la notion selon laquelle l’entraînement en Zone 2 est le seul moyen d’améliorer les performances en endurance, soulignant l’importance d’une variété d’intensités d’entraînement pour une adaptation complète.
L’IA en « pense » quoi ?
« Il n’existe pas de consensus absolu ou de preuve irréfutable indiquant que l’entraînement en Zone 2 est supérieur à d’autres zones d’intensité pour améliorer la performance en sports d’endurance. » Dixit chatGPT.
Bref et pour conclure, s’entraîner à une intensité que le Dr Iñigo San Millán appelle la Zone 2 n’est pas d’emblée dépourvu d’intérêt. Mais cela n’a pas les vertus miraculeuses ou magiques qu’on lui prête.
On peut penser, sans en avoir la preuve absolue, que toutes les intensités d’entraînement élevées et très élevées, surtout dans des séances d’EPI, s’accompagnent de meilleurs résultats.
Chose certaine, sur les terrains de sport, on devrait éviter, comme on a trop souvent tendance à le faire, d’ériger en dogme des méthodes d’entraînement que certains présentent, sans un nombre suffisant de preuves, comme des formules miraculeuses.
Faisons toujours preuve de sens critique !
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Guy Thibault
Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.
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