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Faut-il orienter l’entraînement en course à pied selon le pourcentage de fibres musculaires lentes et rapides ?

Un lecteur (Nicolas de Camy) du magazine Sport et Vie me demandait ce qu’il faut penser d’une tendance récente chez les entraîneurs de course à pied. Voici un résumé de ma réponse (titrée « Une excellente question ») parue dans le numéro janvier-février 2024 de ce magazine européen aussi disponible au Québec.

Sa question :

« Un nombre assez conséquent d’entraîneurs spécialisent l’entraînement de leurs athlètes en fonction de leur composition (présumée) en fibres lentes et rapides : plutôt orienté « puissance » et fractionné pour les athlètes à prédominance fibres rapides (qui se fatiguent plus lors des efforts continus longs) et vice-versa. Répondre mieux à un type d’entraînement est tout à fait plausible, mais est-ce que la composition des muscles vient y jouer un rôle ? ».

L’idée que l’entraînement devrait être orienté ainsi en fonction de la composition des muscles en fibres lentes (type I) et rapides (type IIa et IIx) vient de l’entraîneur chevronné de course à pied Thomas Schwartz. Cette affirmation est souvent évoquée sur les forums de course à pied, et elle rayonne au-delà des frontières américaines, car Tinman (c’est son surnom) entraîne des coureurs qui brillent sur la scène internationale.

Il est toujours préférable de personnaliser le plan d’entraînement non seulement selon les objectifs de l’athlète, mais aussi en reflétant les différentes caractéristiques qui le distinguent. Mais bien personnaliser n’est possible que si l’on sait précisément quelle formule convient à telle ou telle particularité.

L’examen de la littérature scientifique ne fait ressortir pour l’instant aucune recherche où l’on aurait rigoureusement soumis l’idée de Tinman à la vérification expérimentale.

Pour bien se pencher sur l’hypothèse que l’entraînement doit être orienté selon le myotype du sportif, il faudrait assigner un nombre important de sujets à des plans d’entraînement qui ne correspondent pas nécessairement à celui qui est préconisé par eux-mêmes ou leur entraîneur. Pas facile !

D’abord, une certitude : les pourcentages de fibres rapides et lentes dans le gastrocnémien (muscle du mollet, très sollicité en course à pied) sont corrélés avec la spécialité en course à pied. En clair, les athlètes dont les muscles de la course sont composés de plus de fibres rapides ont plus de facilité à exceller en sprint, alors que ceux dont les muscles sont plus riches en fibre lentes excellent plus facilement dans les longues compétitions comme le marathon.

Le myotype respectif d’Usain Bolt et d’Eliud Kipchoge explique pourquoi le premier n’excellera jamais au marathon, et le second au 100 m.

Femmes rapides aux fibres lentes

Un peu avant les Jeux olympiques de Los Angeles 1984, David L. Costill (Ball State University, Indiana), Frank B. Starling (Georgia University, Géorgie) et moi avons eu la formidable opportunité de tester les coureuses commanditées par Nike qui couraient sur 10 000 m jusqu’au marathon. Le pourcentage de fibres lentes dans leur muscle gastrocnémien variait beaucoup : de 45,6 % à 90,1 %, et il était fortement corrélé avec l’endurance, mais très peu avec la consommation maximale d’oxygène (le VO2max). En fait, 45 % de la variance dans l’endurance était expliquée par la variance du pourcentage de fibres lentes. D’autres recherches vont dans le même sens.

Au milieu des années 1990, les professeurs Simoneau et Bouchard de l’Université Laval à Québec ont montré que le pourcentage de fibres lentes ou rapides est principalement déterminé génétiquement. Des recherches plus récentes suggèrent que la composition des types de fibres musculaires peut encore changer (un peu) en raison de facteurs environnementaux, comme l’entraînement.

L’avis d’un sage

J’ai discuté de l’idée de Tinman avec Amby Burfoot, ex-rédacteur en chef du magazine Runner’s World. Anecdote : l’année où il a remporté le marathon de Boston, le scientifique chevronné David L. Costill l’avait testé et il lui avait dit qu’il avait un pourcentage très élevé de fibres à contraction lente. Or ce coureur d’élite a toujours obtenu de meilleurs résultats avec un entraînement lent et facile.

L’examen détaillé des études fait ressortir que, par rapport aux fibres à contraction lente (type I), les fibres à contraction rapide (type IIx et IIa) :

  • ne sont pas nécessairement plus fortes, mais elles se contractent beaucoup plus vite – elles sont donc plus puissantes ;
  • ont généralement une moins bonne capacité oxydative, mais l’entraînement augmente cette capacité au point où elles peuvent devenir plus oxydatives que les fibres lentes ;
  • sont moins résistantes à la fatigue ;
  • récupèrent beaucoup plus lentement ;
  • sont plus sujettes aux blessures.

Eline Lievens, une scientifique belge (Université de Gand) qui étudie les applications sportives pratiques du myotype, me dit qu’il  n’y a présentement pas d’études allant tout de go dans le sens de ce qu’avance Thomas « Tinman » Schwartz ; mais en même temps, rien n’y contredit son idée. À l’heure actuelle, il n’est pas encore clair à 100 % quel type d’entraînement est le mieux adapté à quelle typologie.

Parmi les coureurs d’une spécialité donnée (ex. : 1 500 m ou 10 000 m) qui ont un pourcentage élevé de fibres lentes, on aurait tendance à épicer le programme d’entraînement de séances avec de brèves fractions d’effort d’intensité élevée (ex. sprints) parce que, toute chose étant par ailleurs égale, leur faiblesse réside dans la pointe de vitesse. En général on cherche à mettre l’accent sur les faiblesses des athlètes et non pas leurs forces, ce qui est parfaitement contraire à ce que Thomas ‘Tinman’ Schwartz propose.

Sans biopsies

Même si son approche repose sur le myotype, Thomas « Tinman » Schwartz admet qu’il n’a pas recours aux biopsies musculaires. Il apprécie facilement le myotype d’un coureur simplement en comparant ses performances sur une fourchette de distances. Par exemple, parmi les coureurs dont le record personnel est de 4 min pile au 1500 m, ceux qui peuvent courir 400 m en 48 s auraient un pourcentage de fibres rapides plus élevé que ceux qui peinent à courir cette distance en moins de 52 s.

Est-ce qu’il faut en déduire que Tinman a tort ? Faisons preuve d’esprit critique, ce qui veut dire non seulement de douter de ce qui est avancé sans preuve formelle, mais aussi de demeurer ouvert à ce que l’idée soit valide. Dans quelques années, des études confirmeront peut-être l’intuition de Tinman.

Ce ne serait pas la première fois que la réflexion de personnes du terrain marque un pas d’avance sur la science.

Si un jour on montre que Tinman avait raison, il sera intéressant de quantifier la différence entre les améliorations que l’on obtient avec l’approche qu’il préconise versus une approche traditionnelle : le gain est-il important ou marginal ? Peut-être que d’ici là, on aura trouvé d’autres moyens de personnaliser encore plus l’entraînement, en reflétant par exemple le profil psychologique ou hormonal de chaque athlète. Qui sait ?


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Guy Thibault

Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.

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