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L’entraînement polarisé est-il si hot qu’on le dit ?

L’approche la plus hot présentement dans l’entraînement en sports d’endurance est manifestement l’entraînement polarisé. Que faut-il en penser ?

On s’entraîne de façon polarisée quand notre plan d’entraînement ne comprend que des séances où l’intensité de l’effort se situe aux pôles supérieur et inférieur, mais le moins possible entre ces deux pôles. Il s’agit de passer environ 20 % de notre temps global d’entraînement à des intensités supérieures à celle correspondant au second seuil ventilatoire (zone 3), et environ 80 % à des intensités inférieures à celle correspondant au premier seuil ventilatoire (zone 1).

Autrement dit, en polarisé, on évite la zone d’intensités proches du seuil anaérobie, communément appelée sweet spot (zone 2).

Pour vous donner une idée de la fourchette des intensités de la zone 2, chez des athlètes en bonne forme et dont la fréquence cardiaque maximale (FCM) est comprise entre 182 et 187 battements par minute (bpm), la zone 2 va d’environ 78 % de leur FCM à 91 % de leur FCM, soit en moyenne de 144 bpm à 168 bpm.

De plus en plus de rapports de recherche indiquent que les plans d’entraînement polarisé améliorent davantage l’aptitude aérobie et la performance que les plans d’entraînement mettant plutôt l’accent sur la zone 2. Voir notamment La nouvelle méthode pour améliorer l’endurance : l’entraînement polarisé, où l’on rapporte que comparativement à un plan d’entraînement mettant l’accent sur le sweet spot, un plan polarisé s’accompagne d’une plus grande augmentation du VO2max (+ 6,8 ml/kg/min, soit 11,7 %), de la durée de l’effort à un test progressif et maximal (+ 17,4 %), et de la puissance ou vitesse aérobie maximale (+ 5,1 %). En fait, les sujets qui avaient fait pas mal d’entraînement en zone 2 ont vu leur VO2max diminuer de 4,1 % !

Je trouve plutôt amusant que ces études contredisent en quelque sorte l’idée (qu’on trouve depuis des décennies dans un tas de chroniques sportives) voulant que pour s’améliorer en sports d’endurance, il faut mettre l’accent sur le travail dans une fourchette d’intensités proches du seuil anaérobie.

Si plusieurs personnes ont si longtemps valorisé l’entraînement au seuil anaérobie, c’est surtout parce qu’elles croient que c’est la meilleure façon de repousser ce seuil vers le haut.

Trop souvent, ce sont des séances où les fractions d’effort sont plutôt longues et peu nombreuses. Elles demandent beaucoup de motivation et peuvent générer une grande fatigue mentale tout autant que physique.

Depuis que des rapports de recherche pointent globalement vers la conclusion que l’entraînement polarisé améliore davantage la performance que l’entraînement au seuil, beaucoup d’entraîneurs qui suivent la littérature scientifique pertinente abandonnent l’entraînement au seuil (dorénavant démonisé !) pour miser sur l’entraînement polarisé (dorénavant encensé !).

Sur les terrains de sport, on a en effet rapidement basculé d’une forme à l’autre d’entraînement et ce, sans trop se poser de questions. Il faudrait pourtant faire preuve d’esprit critique, et réaliser qu’il existe beaucoup d’importantes questions pour l’instant sans réponse :

  • L’entraînement pyramidal aurait-il des effets encore plus grands si l’intensité des fractions d’effort en zone 3 était plus élevée ? Je crois que oui ; voir notamment : Intensité d’entraînement : infra-maximale ou supra-maximale ?
  • Si 80 % en zone 1 et 20 % en zone 3 donne de bons résultats, pourquoi ne pas essayer une formule plus extrême, p. ex. moins de 50 % en zone 1, et plus de 50 % en zone 3 ? À ma connaissance, aucun scientifique ne s’est penché sur cette question jusqu’à maintenant. Pourtant, on sait que les très longues séances d’entraînement à faible intensité réduisent la capacité anaérobie, qui est un déterminant non-négligeable de la performance dans plusieurs sports d’endurance.
  • Pendant l’entraînement en zone 1, y a-t-il une intensité minimale requise ? Je crois qu’à des intensités inférieures à celle correspondant à 50 % du VO2max, on ne sollicite pas suffisamment le système cardiorespiratoire pour vraiment l’améliorer.
  • Est-ce parce que les séances sweet spot sont mal planifiées que les recherches révélant la supériorité de l’entraînement polarisé font croire qu’il faut éviter l’entraînement au seuil anaérobie ? Dans la plupart des études comparant les approches polarisée et au seuil anaérobie, les protocoles d’entraînement au seuil ne me semblent pas très bons : les fractions d’effort sont longues et peu nombreuses. Plutôt que de prescrire des séances comme par exemple 3 x 20 minutes à 75 % de la puissance aérobie maximale (avec quelques minutes de repos actif), je miserais sur des formules comme par exemple celle-ci : 30 x 1 min 30 s à 85 % de la puissance ou de la vitesse aérobie maximale, avec une seule minute de repos actif entre les répétitions.

Si l’entraînement polarisé semble meilleur que l’entraînement au seuil, ce n’est peut-être pas parce qu’il est polarisé. C’est peut-être parce qu’il comprend des séances des séances d’entraînement par intervalles.

Il faudra mener d’autres recherches pour mieux cerner la meilleure approche. En attendant, je crois que toutes les intensités d’effort supérieures à 75 % de la puissance ou de la vitesse aérobie maximale sont utiles (même celles entre le premier et le second seuil ventilatoire), et qu’il faut donner la préférence aux séances comprenant un grand nombre de courtes répétitions. Je crois aussi qu’il ne faut pas négliger les séances intermittentes avec de brèves (30 s et moins) fractions d’effort à très haute intensité. On sait maintenant que de telles séances de répétition de sprints améliorent non seulement la capacité anaérobie, mais aussi l’aptitude aérobie (le VO2max et l’endurance).


Quelques références pertinentes

Polarized vs. High Intensity Multimodal Training in Recreational Runners (2018)

The Effect of Periodization and Training Intensity Distribution on Middle- and Long-Distance Running Performance : A Systematic Review (2018)

Training for Intense Exercise Performance : High-Intensity or High-Volume Training ? (2010)

Does Polarized Training Improve Performance in Recreational Runners ? (2014)

Six Weeks of a Polarized Training-Intensity Distribution Leads to Greater Physiological and Performance Adaptations than a Threshold Model in Trained Cyclists (2013)

Polarized and Pyramidal Training Intensity Distribution : Relationship with a Half-Ironman Distance Triathlon Competition (2019)

Polarized Training Has Greater Impact on Key Endurance Variables than Threshold, High Intensity, or High Volume Training (2014)

A Quasi-Experimental Study of Chinese Top-Level Speed Skaters’ Training Load : Threshold versus Polarized Model (2012)


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Guy Thibault

Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.

  1. Desfbois@gmail.com dit :

    Bonjour, j'ai lu une vingtaine d'articles portant sur le modèle polarisé dont ceux de S. Seiler entre autres et aussi de plus récents. j'apprécie la base scientifique qui semble vouloir appuyer le modèle. Par contre je demeure avec une question et je me permets de vous la poser: elle concerne la définition des 3 zones. Selon vous doit on s'appuyer sur le rythme cardiaque maximal pour les définir, la méthode de Karvonnen ou bien sur le Vo2 max, sur la VAM ou la PAM. Bien qu'il y aie une relation entre toutes ces variables, 90% de la fréquence cardiaque correspond t'elle vraiment a 90? du vo2 max, de la VAM ou de la Pam, ou de la limite haute du second seuil ventilatoire? Je suis plus que perplexe…

  2. Félix dit :

    L'article par Stöggl et Sperlich (cité ci-dessus) est particulièrement édifiant. Le grp high volume en a sué un coup pour… rien. Exemple: "The two high volume weeks each included six training sessions with three 90 min LOW sessions, two 150–240 min LOW sessions (according to the training mode: running, cycling, or roller skiing) and one 60 min LT session using different types of interval training (e.g., 5 × 7 min with 2 min recovery, 3 × 15 min with 3 min recovery). "
    Si un entraînement aussi volumineux donne rien, pourquoi la Z1 dans un training polarized donnerait qq chose?
    Hebish et Hebish 2021 (qui publient des entraînements "out of the box") viennent de publier qq chose d'intéressant en remplaçant 1 LSD et 1 HIIT par 2 SIIT par semaine d'un entraînement polarized. Voici: https://www.mdpi.com/1660-4601/18/12/6547

  3. Pascal dit :

    Mr Thibault, dans son livre, mentionné qu’on peut faire les séances d’intervalles à des niveaux de difficulté plus ou moins élevés. Si on y va a 6/10 on réduit le nombre des intervalles, leur durée ou leur intensité? Dans les deux premiers cas on se trouve à baisser le total de minutes à l’intensité cible ( moins productif) et si on baisse intensité on va en zone 2. C’est dans ces cas que je me perd.

    1. Guy Thibault dit :

      Il est vrai que l’on peut réduire le degré de difficulté d’une séance donnée en réduisant son nombre de répétitions, leur durée ou leur intensité. On peut aussi allonger la durée des périodes de récupération entre les répétitions et entre les séries, ou récupérer de façon passive plutôt qu’active. Mais la formule qui me semble la plus appropriée est de ne réduire que le nombre de répétitions. J’éviterais surtout de réduire l’intensité des fractions d’effort.

  4. Robert B dit :

    Est-ce que cette méthode polarisé évite le surentrainement chez le commun des mortels. Et que la méthode au seuil est plus propice à la fatigue et au surentrainement. Certains entraineurs préconise plutôt 75-10-15 pourcent dans les zones 1-2-3 respectivement

    1. Guy Thibault dit :

      Pour éviter le surentraînement (rare, mais qui peut avoir d’importantes conséquences pendant plusieurs semaines), il faut s’assurer que la charge d’entraînement n’est pas trop élevée et que la récupération est suffisante entre les séances. Cela est vrai tout autant pour le sportif de niveau moyen que pour l’athlète chevronné, mais la charge d’entraînement seuil à ne pas dépasser est bien évidemment plus élevée pour l’athlète habitué à s’entraîner assidûment. L’entraînement polarisé peut mener au surentraînement si la charge d’entraînement est trop élevée, et l’entraînement non polarisé peut permettre d’éviter le surentraînement si la charge d’entraînement est suffisamment modérée. Certes, ceux et celles qui n’ont pas appris à s’allouer des journées de récupération passive ou active et qui se donnent au maximum trop fréquemment pourraient avoir avantage à passer à l’entraînement polarisé si cela les amènent à mieux récupérer entre les séances très difficiles. Mais je crois qu’on peut obtenir le même résultat sans nécessairement abandonner les séances d’entraînement à des intensités comprises entre le premier et le second seuil ventilatoire (autrement dit, à des intensités proches du seuil anaérobie).

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