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Douleurs : anti-inflammatoires ou non ?

Le risque de blessure d’usure (ou « de surutilisation ») est élevé dans les sports où un geste particulier est répété un très grand nombre de fois. À redouter : augmentation brusque de la charge d’entraînement, préparation physique insuffisante, position ou technique inappropriée, changement d’équipement, etc.

Qui dit blessure d’usure dit douleur. On a l’impression que le tissu affecté est en feu – c’est l’inflammation. On peut être forcé de stopper l’entraînement pendant un certain temps. C’est très frustrant !

L’industrie pharmaceutique propose depuis longtemps une variété de médicaments anti-inflammatoires qu’on peut se procurer facilement. Il s’agit surtout d’« anti-inflammatoires non stéroïdiens », plus souvent désignés par l’acronyme « AINS », p. ex. : Celebrex, Voltaren, Advil, Motrin, Naprosyn et Aspirine.

Les AINS agissent en partie en inhibant l’activité d’enzymes présentes dans la cellule : les cyclo-oxygénases (Cox). Cette inhibition s’accompagne notamment d’une diminution de la production de substances que l’on appelle prostaglandines. En diminuant la production de prostaglandines, les AINS atténuent l’inflammation.

Le hic, c’est que les prostaglandines exercent d’autres fonctions biologiques importantes (pas encore nécessairement toutes connues). Parmi les nombreuses actions connues des prostaglandines (donc, inhibées par les AINS) figure la protection de l’estomac contre les effets potentiellement délétères de l’acide gastrique. D’où le risque de problèmes digestifs importants pouvant découler de l’utilisation d’AINS, comme des ulcères gastriques ou duodénaux.

Les AINS altèrent aussi l’activité de ce que l’on appelle les « cellules satellites ». Ces dernières exercent un rôle crucial pour le bon fonctionnement de nos précieuses cellules musculaires.

Les AINS peuvent entraîner non seulement des effets digestifs potentiellement graves, mais également avoir des effets néfastes sur les systèmes cardiovasculaire, hématologique (ex. : moins de plaquettes et de globules rouges) et rénal (ex. : atteinte de la fonction des reins).

En 2005, la US Food and Drug Administration a fait une importante mise en garde à propos d’effets indésirables, graves et fréquents de certains AINS. Résultat : il a fallu retirer du marché des AINS en raison de leur dangerosité. De plus, les AINS sont à éviter chez plusieurs patients, notamment ceux qui consomment de l’alcool abusivement ou qui prennent des antidépresseurs (en augmentant les risques de saignements) ou d’autres types de médicaments comme des antihypertenseurs.

Le risque d’effets indésirables peut augmenter avec la dose du médicament et la durée du traitement. De plus en plus de professionnels de la santé ont des réserves à les utiliser. À noter que plus on est âgé, plus on est à risque. Mais même les jeunes s’exposent à d’importants problèmes en faisant usage d’AINS, à plus forte raison si cet usage est régulier et prolongé.

Glucocorticoïdes
À noter que les mécanismes d’action des AINS les distinguent des glucocorticoïdes (ex. : cortisone) qui sont des anti-inflammatoires stéroïdiens (AIS). Dans le cas de douleurs intenses et persistantes, on peut être tenté d’avoir recours à son usage local et, donc, à l’infiltration de glucocorticoïdes. Mais des recherches indiquent que si cela peut souvent améliorer l’état du patient à court terme, les résultats à long terme sont décevants.

AINS en mesure préventive ?
Des sportifs se trouvant particulièrement futés prennent des AINS de manière préventive. Dès qu’ils intensifient l’entraînement, par exemple en participant à un stage d’entraînement, ils prennent chaque jour un ou plusieurs comprimés d’AINS ou se massent avec une crème anti-inflammatoire, même en l’absence de symptômes. Cette stratégie semble de plus en plus répandue. Mais des recherches récentes indiquent qu’en limitant l’inflammation avec de telles pratiques, on affecte l’adaptation à l’entraînement. Cherchant à faire mieux, on peut faire pire !

Certains arguments sont toutefois favorables à l’utilisation d’AINS. Pendant la phase aiguë d’une blessure (généralement trois ou quatre jours), l’organisme produit une inflammation particulièrement prononcée. C’est le moment où les AINS peuvent, dans certains cas, être indiqués (accompagnés d’un repos de quelques jours). Ces médicaments réduisent l’intensité de l’inflammation et de la douleur sans pour autant l’annuler complètement. Tant mieux : l’inflammation est nécessaire !

Chose certaine, en cas de blessure d’usure s’accompagnant de douleurs vives, il faut stopper l’entraînement pendant quelques jours. S’entraîner sous antidouleur peut empirer le problème.

Autre intérêt des AINS : leur effet antalgique réduit le risque que le système neuromoteur ne se mette à compenser exagérément avec un schéma de mouvements de la vie quotidienne altéré au point de créer de l’inconfort ou de précipiter une autre blessure. Pendant la phase subaiguë, où l’inflammation diminue progressivement, les AINS sont toutefois moins indiqués.

Des recherches récentes comme The use of nonsteroidal anti-inflammatory drugs for exercise-induced muscle damage : Implications for skeletal muscle development (2012) révèlent que si l’on bloque une ou plusieurs composantes de l’inflammation, par exemple à l’aide d’AINS, l’amélioration des qualités musculaires découlant d’une période d’entraînement sera amoindrie. En inhibant les prostaglandines, les AINS nuisent à la synthèse protéique. Bref, s’entraîner sous AINS améliore moins la performance sportive que s’entraîner sans AINS.

Conseils pratiques : ne prenez jamais d’AINS pour prévenir une blessure d’usure. Assurez-vous plutôt que votre charge d’entraînement suit une lente progression. Si vous devez en prendre pour traiter une blessure de surutilisation due à un entraînement trop intensif, ne le faites qu’après avoir consulté un spécialiste (pharmacien, kinésithérapeute, médecin), et méfiez-vous de ses effets secondaires parfois très graves. Ne les prenez qu’en mangeant, jamais à jeun. Si vous développez des effets indésirables, cessez immédiatement d’en prendre, et consultez sans tarder un professionnel de la santé.


Avec la participation de Denis Villeneuve, pharmacien, et Nicolas Poirier, physiothérapeute


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Guy Thibault

Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.

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