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Interview | Seb Sasseville – Ton entraînement pour le Big Wolf’s Backyard !

En plus d’être auteur et conférencier dans la vie de tous les jours, quand il s’agit de défis d’endurance d’envergure, Sébastien Sasseville n’a plus besoin de présentation. Après avoir gravi l’Everest, traversé le Canada à la course, puis à vélo (en 15 jours), il s’est illustré une fois de plus l’an dernier en complétant la Race Across America (RAAM), la course d’ultracyclisme réputée pour être la plus difficile au monde. Plus récemment, il a décidé de s’inscrire au tirage au sort de la Big Wolf’s backyard… et son nom est sorti !

Un événement de type backyard ultra est une course d’endurance inspirée du mythique Barkley Marathon où les participants doivent compléter des boucles de 6,706 km à chaque heure, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul coureur en lice, qui est alors déclaré gagnant.

MOTIVATION POUR CE TYPE D’ÉVÉNEMENTS

Je connais ton appréciation des défis de grande envergure, mais peux-tu préciser ce qui t’attire exactement dans ce genre d’événements ?
Après avoir flirté de très près avec l’idée de refaire la RAAM, je suivais depuis quelques années les éditions précédentes des courses BigWolf’s Backyard, et j’ai réalisé que je m’ennuyais de la course à pied ; de la simplicité de ce sport. Et de l’inconnu qu’une nouvelle aventure amène avec tout ce que ça implique, en plus que j’étais convaincu que mes expériences passées pourraient me servir grandement. Cela devenait donc tout naturel de relever ce défi.

Ton entraînement des dernières années ayant surtout été axé sur le cyclisme et la natation longue distance ; comment as-tu géré un retour vers la course à pied pour un tel challenge ?

Comme je n’avais pas couru sur une base régulière depuis plusieurs années, j’ai dû repartir à zéro et respecter une très lente progression. La patience s’est révélée cruciale pour préserver mon intégrité physique. Cette expérience a renforcé ma conviction que le corps humain est remarquable lorsqu’on le traite avec respect. Cependant, j’ai aussi pris conscience que le sur-stresser prématurément ou excessivement expose à un risque accru de blessures. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé en mai dernier : un arrêt de dix jours pour me rétablir.

ENTRAÎNEMENT ET PRÉPARATION PHYSIQUE

Tes entraînements physiques, eux, ressemblent à quoi et quels obstacles ou difficultés as-tu rencontrés durant l’entraînement ?
Mis à part la blessure dont j’ai parlé, j’ai eu des grosses douleurs au dos et, malheureusement, j’ai eu un diagnostic de spondylite ankylosante, une maladie auto-immune. C’est ce que j’ai trouvé le plus difficile, car ce n’est pas quelque chose qui se soigne. Je dois plutôt apprendre à vivre avec cette condition et ça compromet peut-être d’autres gros projets d’endurance qui m’attirent et mon mode de vie actif que je souhaite garder le plus longtemps possible.

Sinon, côté préparation physique, je me suis entraîné surtout sur route. J’aurais aimé faire plus de vitesse, mais j’ai manqué de temps. Mon réflexe quand je prépare un gros défi, c’est d’aller lire sur les meilleurs, de les contacter et de discuter de leur entraînement. J’ai parlé avec Stéphanie Simpson, Charles Castonguay, Éric Deshaies, etc… Ils m’ont conseillé de varier aussi les entraînements, de ne pas rester en endurance. Ce que je n’ai pas pu faire, malheureusement, et c’est là où je pense que je vais payer pendant ma course. Je me suis donc concentré sur le volume, avec une augmentation progressive sur les neuf mois d’entraînement.

©Dan Aponte

As-tu eu recours aux services d’un coach ?
J’avais le même coach depuis plus de cinq ans, un californien ; j’étais dans une structure chaque jour. À un moment donné, je n’en pouvais plus de ce carcan, je sentais une fatigue persistante. En plus que mon travail est demandant, ça finit par être beaucoup. J’ai donc pris une pause. Pour la backyard, j’ai travaillé avec Charles Castonguay, car il est plus axé sur ce genre d’événements.

Toi qui voyages souvent pour le travail, comment arrives-tu à gérer tes périodes d’entraînement ?
La seule manière de réussir à faire ça, c’est de consigner toutes les séances d’entraînement au calendrier. Par exemple, pour la RAAM, mon coach et moi on avait un agenda commun, dans lequel je bloquais les périodes consacrées au travail, et lui y insérait les entraînements. Avec la backyard, par contre, comme ce n’est que de la course à pied, c’est plus facile à faire peu importe l’endroit.

PRÉPARATION PSYCHOLOGIQUE ET MENTALE

Quelle place accordes-tu à la préparation psychologique et mentale pour ce défi ?
Je m’appuie beaucoup sur mes expériences passées et, un peu comme tout le monde, je n’ai pas de X sur mon calendrier, qui indique “aujourd’hui : entraînement psychologique”, ça se passe plutôt chaque fois que je sors courir mais que ça ne me tentait pas, chaque fois où je sors même s’il pleut, après une grosse journée de travail, etc. Je considère que chaque fois que tu reportes “ces fois où ça ne te tente pas”, tu crées une brèche et tu affaiblis à la longue ta force mentale. Tu crées un précédent et tu n’apprends pas à négocier avec toi-même. Comme lors de la course, le moment où je dois y aller et que ça ne me tentera peut-être pas reviendra chaque 60 minutes. En fait, cette course sera aussi un très bon entraînement pour développer ma force mentale. C’est un peu comme la résilience : c’est plus le fruit d’une pratique qu’un attribut.

STRATÉGIES ET OBJECTIFS

Quelle place prend l’aspect logistique et technique dans ta préparation ?
Je me suis basé sur trois grands piliers : les vêtements, le médical et la nutrition, autour desquels j’ai sélectionné et organisé tout mon matériel. Ensuite, j’ai donné des directives très claires à mon équipe de soutien. Ce qui est particulier avec le fonctionnement de la Backyard, c’est que chaque coureur n’a le droit qu’à une seule personne de soutien.

Cependant, dès qu’un coureur abandonne, cette personne a le droit d’aller soutenir d’autres participants, ce qui ajoute une touche d’esprit de famille à l’organisation.

Sachant cela, j’ai fait en sorte de choisir mes voisins dans l’espace qui me sera dédié entre chaque tour, de sorte qu’il y aura des gens que je connais et en qui j’ai entièrement confiance. Je les sais très solides et fiables aussi, ce que je trouve très rassurant.

Quels sont tes objectifs pour cet événement et comment entrevois-tu gérer ton effort, surtout en tant que diabétique ?
Je me trouve partagé entre deux sentiments : d’un côté, une prudence naturelle face à cette première expérience ; de l’autre, une confiance acquise grâce à mes nombreux défis d’endurance antérieurs. Disons entre dix et soixante tours… c’est certain que mon objectif c’est d’aller au bout de mes ressources. Peu importe ce qu’est mon potentiel, je veux aller toucher au côté obscur. Pour ce qui est de la gestion de l’effort, je pense que les douze premières heures dictent les douze suivantes. Je serai donc très conservateur au début. Je sais aussi par expérience que je dois manger dès les premières boucles et continuer à grignoter en courant. J’aurai donc un gel en courant, surtout considérant mon diabète. Il s’agit de trouver la bonne recette pour mon dosage d’insuline selon les différentes phases de la course que je traverserai. Le défi sera de définir le bon facteur de correction selon ma sensibilité à l’insuline qui variera au fil du temps. Après les douze premières heures, je verrai selon mon état après !

GESTION DU SOMMEIL ET DU CONTEXTE ENVIRONNANT

Comment géreras-tu le sommeil ? Les aléas météo ?
Je ne prévois pas dormir les premières 24 heures. Je sais par expérience que quand le soleil se lève, tu ressens une bouffée d’énergie. Je prévois dormir des tranches de 5 à 10 minutes entre les tours et prendrai ce qui passera. Comme je ne cours pas super vite, je sais que mon temps de repos entre les boucles diminuera rapidement ; je crois que c’est ce qui me mettra hors de la course. La météo ne me stresse pas du tout, je pense même que j’ai un avantage si les conditions sont exécrables ; j’aime le chaos ! Surtout quand je vois que ça affecte les autres, j’ai une grande capacité à entrer dans ma bulle.

Dans ce genre d’événements, il y a certainement des hauts et des bas, quand penses-tu que les bas surviendront et comment prévois-tu les gérer ?
Ce qui me tirera vers le haut sera assurément l’esprit d’équipe et les fous rires qu’on partagera, à chaque tour. Sinon, je pense que je vais vivre des phases de frustration, parce qu’avec l’entraînement et le volume que j’ai, je crois que le physique va lâcher avant le mental. Psychologiquement, après 24 heures, je ne serai pas défait, mais physiquement, ça risque d’être autre chose. Il y aura aussi certainement des boucles plus difficiles et le moral oscillera au fil des tours.

Un bon athlète d’endurance, ce n’est pas quelqu’un qui va vite, mais quelqu’un qui est capable de traverser les épisodes de noirceur. Ces phases plus sombres, je sais qu’elles passent toujours, ça ne me stresse pas du tout.

Je trouve ça tellement riche en apprentissages. Je me demande souvent ce que je suis en train de vivre, ce que je ressens et ce qui restera de ces phases plus sombres. En gros, c’est d’arriver à me dire que j’ai choisi de faire cet événement pour ces moments-là.


PARTIE 2 : Après

Comment s’est passée ton backyard ?
Globalement, ce fut une super expérience, vraiment positive. Si je pouvais résumer le tout en une phrase, je dirais que ce qui devait arriver arriva. Malgré toute la résilience dont je fais habituellement preuve dans mes événements, rien ne remplace réellement un bon entraînement. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de souffrir vraiment physiquement, puisque mon manque d’entraînement a rapidement fait que j’ai dépassé les délais de 60 minutes pour compléter les boucles. Il ne faut pas écarter non plus que la météo fut très hostile ; jamais le taux d’abandon n’avait été aussi élevé.

Est-ce que les difficultés que tu as rencontrées étaient celles que tu avais prévues ?
Je pensais avoir tout prévu. Mais – surprise – mon estomac a fait des siennes et j’ai eu des troubles gastriques. On se fait toujours ressasser que dans les événements d’endurance, on doit manger beaucoup et régulièrement, pour compenser les calories dépensées ; mais je pense avoir commis l’erreur de débutant d’avoir exagéré côté alimentation. En plus du fait qu’il faisait très chaud et que je buvais un litre dans chacun des 10 premiers tours, j’ai demandé à mon estomac de travailler très fort. Ce qui fait qu’à mon avant-dernier tour, le 17e, j’ai eu des problèmes gastriques qui ont mené à des vomissements. Je suis quand même reparti pour le tour suivant, mais ça a fait dérailler mon plan. J’ai vécu une baisse d’énergie, et ça a certainement contribué à mon ralentissement.

Es-tu satisfait de ta performance, de ta façon de vivre les moments les plus difficiles ?
Oui, dans la mesure où j’ai récolté des résultats à la hauteur des efforts que j’avais investis à l’entraînement. Comme je disais plus tôt, je n’ai pas eu la chance de souffrir pleinement psychologiquement ni de manquer de sommeil, je faisais encore des blagues et j’avais un bon moral. Je n’ai pas eu à vivre avec la décision difficile des gens dans le top 10, à savoir de prendre ou non le départ après chaque boucle.

©Dan Aponte

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans ce type de défi ?
Pendant l’entraînement, ne pas se concentrer uniquement sur la course à pied et, surtout, ne pas négliger les séances structurées, comme les entraînement par intervalles. Selon moi, la pire erreur serait de s’entraîner seulement en endurance. Il faut absolument porter attention à la vitesse, il ne faut pas négliger la musculation, ni les autres piliers comme l’aspect logistique. Et il faut bien choisir qui sera notre personne en soutien. Certains le font seuls, sans personne pour les aider, mais je pense qu’on va plus loin en demandant l’aide de quelqu’un. Enfin, il faut être patient pour les résultats, respecter la progression, aimer le processus et demeurer fier de soi tout au long de la période de préparation, pas seulement le jour de l’événement.

Si tu refaisais le défi, que changerais-tu ?
C’est dans mes habitudes de faire des post mortem des événements auxquels je participe, c’est une étape importante. Je ne changerais pas grand-chose. J’ai surtout manqué de temps pour m’entraîner adéquatement. En fait, je suis conscient que mon niveau de forme physique a diminué dans les dernières années et que je devrais plutôt me concentrer sur un gros travail de fondation, maintenir une base pour demeurer en santé et actif.

Et pour la suite… ?
Bien que je sois encore très animé par ma passion pour les événements d’endurance, je suis de plus en plus obsédé par ma santé globale. J’ai demandé beaucoup à mon corps dans les 10 dernières années et la vérité, c’est que c’est usant. Je souhaite donc canaliser mon énergie pour m’entraîner pour demeurer en santé, en faire peut-être moins, mais le plus longtemps possible ; diminuer mon stress, retrouver un niveau de sommeil adéquat et maintenir de bonnes habitudes alimentaires.


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Geneviève Healey

Fervente amatrice de données, ultracycliste à ses heures et instructrice de cardio-vélo à temps partiel, Geneviève carbure aux défis d’endurance. Elle rédige du contenu pour divers blogues, y décrivant entre autres ses aventures sportives, que vous pouvez suivre via @genevievehealey

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