Entraînement en Zone 2 : nec plus ultra, ou une autre étourderie scientifique ? 1 de 2
3 juillet 2023
Guy Thibault
Popularisé surtout par Dr Iñigo San Millán, qui conseille notamment le champion cycliste Tadej Pogačar, l’entraînement en Zone 2 est très à la mode. Dans cette fiche en deux parties, on se penche sur cette mode.
C’est la moooode !
Au cours des derniers mois, on a vu fleurir une myriade d’articles de magazines, de vidéos YouTube et de posts Instagram, tous vantant les mérites de l’entraînement en Zone 2 (suivant une nomenclature en 5 zones d’intensité), comme s’il s’agissait de la fontaine de jouvence sportive. C’est le dernier cri, le truc à la mode, la crème de la crème, le nec plus ultra de la préparation physique d’aujourd’hui. Ou du moins, c’est ce qu’on veut nous faire croire.
Dr Iñigo San Millán
Directeur du laboratoire de physiologie de l’exercice et de performance humaine à la faculté de médecine de l’Université du Colorado, il est également professeur adjoint à la faculté de médecine de cette université. Ses publications scientifiques portent surtout sur le cancer et le diabète. Le fait qu’il conseille des vedettes sportives, notamment les coureurs de l’équipe cycliste professionnelle UAE Team Emirates, n’est sans doute pas étranger au fait qu’il est si adulé sur les terrains de sport, même s’il n’est pas vraiment une figure familière dans la communauté internationale des scientifiques du sport.
Ce qui frappe à propos de cette fameuse Zone 2 :
- plusieurs en parlent ;
- peu savent ce que c’est précisément ;
- les « preuves » de son intérêt sont plus anecdotiques que scientifiques.
Le concept
Mais quelle est donc cette fameuse « Zone 2 » ?
Serait-ce un niveau de conscience supérieur que seuls les yogis les plus avancés peuvent atteindre ? Eh bien, détrompez-vous, car la réalité est bien plus… banale.
En réalité, s’entraîner en Zone 2 est simple. Et très courant. Extrêmement courant ! Pratiquement tous les participants en sports d’endurance s’entraînent beaucoup en Zone 2, sans nécessairement le savoir.
Un peu comme monsieur Jourdain, dans la pièce de Molière, « faisait de la prose à tout moment sans le savoir ». Je parie que les sprinters olympiques personnifiés dans le film Chariots of fire en étaient adeptes ! (Si vous ne voyez pas de quoi il s’agit, demandez à vos parents).
Les fervents de la Zone 2 sont un peu flous sur sa définition (le Dr San Millán aussi d’ailleurs), et il ne semble pas y avoir vraiment consensus, ce qui n’est pas très rassurant. Mais on serait en Zone 2 quand on pratique notre activité aérobie (nager, pédaler, courir, skier, patiner, etc.) à une intensité ni faible, ni élevée. Voici des repères :
- concentration de lactate dans le sang ne dépassant pas 2 millimoles par litre (donc sous le seuil anaérobie) ;
- consommation d’oxygène (VO2) entre 55 % et 75 % de la consommation maximale d’oxygène (VO2max) ;
- fréquence cardiaque à environ 60 % à 70 % de la fréquence cardiaque maximale ;
- rythme tel que l’on peut encore tenir une conversation sans perdre son souffle (ce qui – soyons honnêtes ! – est généralement le moment où l’on discute des derniers potins plutôt que de repousser ses limites).
Justification
La principale justification avancée pour l’entraînement en Zone 2 est que cela améliorerait la capacité des mitochondries musculaires à utiliser l’oxygène de manière plus efficace, favorisant ainsi l’oxydation des graisses comme source d’énergie. Cela permettrait d’économiser les réserves de glycogène musculaire, ce qui est particulièrement avantageux pour les épreuves d’endurance.
Mérites
L’entraînement en Zone 2 n’est certes pas sans mérites. Ce n’est pas pour rien qu’il constitue la majeure partie de l’entraînement de plusieurs sportifs depuis toujours ! Voici quelques-uns de ses mérites :
- À cette intensité « entre deux eaux », on peut faire de séances de plusieurs heures, ce qui est sans doute utile pour la préparation mentale et physique en vue de compétitions particulièrement longues.
- En stimulant la circulation sanguine, les séances en Zone 2 favorisent la récupération entre les séances d’entraînement plus intenses.
- Chaque minute passée en Zone 2 s’accompagne d’une dépense calorique évidemment plus grande qu’à intensité inférieure, ce qui peut présenter un certain intérêt quand on a des soucis adipeux.
- On a de bonnes raisons de penser que les intensités d’exercice de la Zone 1 ne sont pas suffisamment élevées pour s’accompagner d’une amélioration du VO2max.
- Plusieurs pensent (mais pas moi) que si l’on ne s’entraînait qu’aux intensités supérieures à celles correspondant à la Zone 2, la charge d’entraînement pourrait devenir excessive, d’où un risque de surentraînement ou de blessure d’usure (ça reste à être prouvé).
Ce qui est ridicule
« La preuve que la mode est ridicule, c’est qu’elle change tout le temps », dixit Oscar Wilde.
C’est donc OK de s’entraîner en Zone 2. Ce qui cloche, ce n’est pas la Zone 2. C’est plutôt la « religion », le « culte » de l’entraînement d’intensité modérée. D’ailleurs, faisant preuve d’un sens critique digne d’un vrai scientifique, le Dr Iñigo San Millán lui-même écrivait (dans un message Twitter de janvier 2023) : Please let’s not make a cult of Z2, ce qui donne en français « S’il vous plaît, n’érigez pas l’entraînement en Zone 2 en un culte ! ».
Le culte de la Zone 2 est très surprenant alors qu’un très grand nombre d’études montrent l’intérêt de l’entraînement par intervalles (EPI) avec fractions d’effort d’intensité élevée et très élevée.
En réalité, toutes les intensités d’entraînement moyennes (Zone 2), élevées et très élevées (supérieures à ce que le Dr San Millan appelle la zone 5) sont manifestement intéressantes. Je propose un modèle financier pour faire ressortir cela. C’est notamment ce qu’on va voir dans Entraînement en Zone 2 : nec plus ultra, ou une autre étourderie scientifique ? Partie 2 de 2.
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