Lignes directrices d’activité physique : regard critique
16 novembre 2020
Guy Thibault
Dans un avis scientifique étoffé, on fait ressortir les lacunes des lignes directrices « officielles » dictant l’activité physique qui serait nécessaire pour en retirer des effets salutaires.
Au cours des cinq dernières décennies, diverses organisations ont émis des lignes directrices (des recommandations) à propos de l’activité physique qu’il faudrait faire. Elles prennent presque chaque fois la même formule : un nombre de minutes d’activité physique à pratiquer chaque jour ou chaque semaine. Ce nombre de minutes a changé au fil des lignes directrices. Comme si le gros fun des bonzes de la santé publique se résumait à débattre du nombre de minutes journalières ou hebdomadaires !
En 1975, l’American College of Sports Medicine (ACSM) recommandait 20 à 30 minutes par jour. Puis cette même organisation et bien d’autres (nationales et internationales) ont mis en avant 30, 60 et même 90 minutes par jour. Les lignes directrices les plus souvent évoquées depuis leur parution en 2010 sont celles de l’Organisation mondiale de la santé, soit « au moins 150 minutes par semaine ». Ironiquement, on est donc en quelque sorte revenu au volume que recommandait l’ACSM dans ses premières lignes directrices. En effet, 150 minutes hebdomadaires c’est 21 minutes et 26 secondes quotidiennes !
Un groupe d’experts scientifiques et médicaux dont je fais partie (le Comité scientifique de Kino-Québec) a vérifié la valeur de ces fameuses lignes directrices en dépouillant les milliers d’études permettant de comprendre ce que l’on appelle la relation dose-réponse entre l’activité physique et ses divers effets salutaires. Concrètement, on a cerné la nature, l’intensité et le volume d’une activité physique (ex. nager, faire de la musculation ou des exercices d’étirement) nécessaires pour obtenir tel ou tel niveau d’amélioration de tel ou tel déterminant de la condition physique (ex. l’aptitude cardiorespiratoire, la masse musculaire ou la force musculaire) ou de la santé (ex. le risque de maladie cardiovasculaire, de fracture ostéoporotique ou de dépression).
Le fruit de nos travaux prend la forme d’un avis émis en 2020 :
Pour une population québécoise physiquement active : des recommandations / Savoir et agir.
Mes collègues du Comité scientifique de Kino-Québec et moi comprenons d’emblée que les lignes directrices officielles qui ont été émises jusqu’en 2019 au moins ont le mérite d’être simples et d’offrir un objectif qui peut servir de phare pour les personnes qui ne seront pas découragées par un objectif de 150 minutes d’activité physique par semaine.
Mais comme nous le soulignons dans l’avis, la plupart des lignes directrices en matière d’activité physique comportent plusieurs lacunes. L’interprétation populaire de ces recommandations est trop souvent erronée :
- Trop de personnes croient faire suffisamment d’exercice physique dès lors qu’elles atteignent les 150 minutes hebdomadaires,
- Un tel volume d’activité physique par semaine peut constituer un objectif trop difficile à atteindre pour les personnes qui font peu ou ne font pas d’activité physique et pour celles qui ont des problèmes de santé,
- Ces 150 minutes ne sont pas un objectif assez ambitieux pour les personnes qui sont déjà actives.
Importante lacune : les lignes directrices valorisent surtout, explicitement ou implicitement, les activités aérobies (marche rapide, jogging, natation, ski de fond, etc.), comme si la prévention des maladies cardiovasculaires était la seule chose qui compte !
En réalité, il est important de diversifier les pratiques tout en valorisant aussi les activités visant une vaste gamme d’autres effets bénéfiques particuliers : amélioration de l’humeur, de la santé psychologique, de la gestion du stress, des fonctions cognitives, des habiletés sociales, etc.
Les lignes directrices sous-entendent que toutes les activités ont la même valeur, peu importe l’effet bénéfique recherché. Or, si toutes les activités physiques et sportives peuvent avoir des effets salutaires, aucune ne procure les effets bénéfiques de l’ensemble des activités physiques !
La lacune qui me semble la pire : les recommandations officielles sont formulées de sorte qu’elles laissent penser qu’il suffit de faire le volume minimal d’activité physique pour bénéficier d’un même effet sur toutes les composantes du bien-être, de la santé et de la qualité de vie.
En réalité, un même volume d’activité physique a un effet différent selon l’activité physique pratiquée. Pour certains effets bénéfiques visés, ce n’est pas tant le nombre quotidien ou hebdomadaire de minutes d’activité physique qui compte.
Par exemple, pour renforcer les os (et, donc, réduire le risque de fracture ostéoporotique), ce qui est déterminant, c’est la fréquence de mise en charge des os, et non pas la durée de mise en charge. Voir à ce sujet cet autre avis du Comité scientifique de Kino-Québec : Activité physique et santé osseuse.
Trop souvent, les lignes directrices laissent croire que tous les effets bénéfiques associés à une activité physique d’intensité élevée peuvent être obtenus par une activité physique d’intensité moyenne, à condition que le volume soit suffisant. Or, de plus en plus d’études indiquent qu’une activité physique d’une intensité élevée apporte plus d’effets salutaires, particulièrement pour l’amélioration et le maintien de l’aptitude aérobie.
Bref, l’examen détaillé de la relation dose-réponse entre les divers paramètres de nos activités physiques et les différents effets bénéfiques qui y sont associés fait ressortir que les lignes directrices courantes en matière d’activité physique occultent trop d’éléments pourtant cruciaux.
Cet examen critique mène à la conclusion qu’il serait préférable de recommander à la population de chercher à faire, au quotidien, le plus possible d’activité physique (tout en évitant les abus, cela va sans dire !), tout en misant sur la diversité.
N.B.
Cette chronique n’engage que moi, et donc pas nécessairement les autres membres du Comité scientifique de Kino-Québec, bien que tous ensemble, nous n’avons éprouvé aucune difficulté à faire consensus pendant la rédaction de l’avis.
Références
Comité scientifique de Kino-Québec (2020) Pour une population québécoise physiquement active : des recommandations – Savoir et agir, Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 84 p.
Comité scientifique de Kino-Québec (2008) Activité physique et santé osseuse. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 40 p.
Organisation mondiale de la santé (2010). Recommandations mondiales sur l’activité physique pour la santé. 60 p.
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