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Faut-il craindre l’acide lactique et le lactate ?

Plusieurs croient que l’acide lactique occasionne la douleur et limite la performance. Est-ce vrai ?

Lorsque vous pédalez intensivement, vos muscles produisent de l’acide lactique qui apparaît dans la circulation sanguine sous forme de lactate. D’où l’idée reçue selon laquelle l’acide lactique est responsable de tous les maux. Mais la réalité n’est pas ce que souhaiteraient ceux que séduisent les schémas explicatifs simplistes. Quand on examine en détail la façon dont l’énergie est produite dans le muscle au cours d’efforts de diverses intensités, on se rend compte que le lactate n’a pas les vices qu’on lui prête.

Il n’existe pas une fatigue musculaire, mais plutôt des fatigues musculaires.
En effet, bien que la manifestation objective de ces fatigues soit la même, c’est-à-dire l’impossibilité de poursuivre l’effort, la fatigue du pistard sprinter n’est pas celle du vététiste qui termine un raid de VTT. Il est naïf de penser que les diverses formes de fatigue musculaire ont toutes l’acide lactique comme seule et unique cause.

Entre les neurones du cerveau, d’où émane la commande motrice, et les myofilaments des muscles qui exécutent le travail musculaire, la chaîne de transmission de l’information qui permet le développement de la force comprend de nombreux maillons. Chacun d’eux peut faillir à sa tâche et empêcher la poursuite de la contraction musculaire et de l’exercice. Cela fait une longue liste de suspects possibles dans le développement de tel ou tel type de fatigue. On trouve plusieurs arguments expérimentaux qui tendent à montrer que l’acide lactique n’a finalement pas grand-chose à voir avec la fatigue musculaire.

L’argument le plus convaincant, c’est qu’il peut y avoir fatigue musculaire alors que la concentration d’acide lactique du muscle n’est pas élevée alors qu’inversement, on peut observer une absence de fatigue musculaire alors que la concentration d’acide lactique du muscle est élevée.

Au terme d’épreuves particulièrement éprouvantes comme par exemple un raid de VTT de plus de 100 km, la fatigue est très grande, mais la concentration de lactate dans le sang n’est pas beaucoup plus élevée qu’au repos.

Plusieurs pensent que plus on produit de lactate, moins on est bon. En fait, c’est le contraire !

Produire plus d’acide lactique signifie qu’on travaille à plus haute intensité et donc qu’on roule plus vite. Il ne faut donc pas se surprendre que les pistards, les coureurs de BMX et les routiers sprinters produisent beaucoup de lactate et que, en conséquence, plus ils en produisent et meilleurs ils sont.

Par ailleurs, des recherches indiquent que la performance est meilleure quand on débute une compétition avec une concentration élevée de lactate dans le sang. Les champions vététistes auraient donc raison lorsqu’ils prétendent qu’il faut se pousser pas mal fort pendant l’échauffement précompétitif.

Plusieurs cyclistes ne jurent que par le seuil anaérobie
Si l’on en croit la théorie du seuil anaérobie, dans le vaste continuum des intensités d’exercice – quelque part environ à mi‑chemin entre l’intensité du petit moulinage facile et celle des sprints les plus endiablés –, il existerait une intensité seuil à partir de laquelle il y aurait passage du métabolisme aérobie strict au métabolisme mixte aérobie et anaérobie.

Cette théorie a encore aujourd’hui de nombreux partisans. Et dans de nombreux magazines populaires, on y fait couramment référence en laissant croire qu’il s’agit d’un fait bien admis. Cette théorie est pratique et séduisante (d’où le grand nombre de croyants). En effet, lorsqu’on pédale à haut régime depuis quelques minutes, on a parfois l’impression qu’il nous faudrait faire preuve d’un courage énorme pour augmenter sa vitesse ne serait-ce qu’un d’un iota. Mais, les connaissances scientifiques actuelles permettent de réfuter la théorie du seuil anaérobie. En réalité :

  • Il n’existe pas de puissance seuil au-dessous de laquelle le muscle ne produit pas de lactate et au-delà de laquelle il en produit. Le muscle produit du lactate en permanence, dès les premières puissances de travail les plus basses, même lorsque l’apport en oxygène est suffisant !
  • Au cours d’un test progressif comme on en fait en laboratoire (le sujet doit pédaler à une intensité qui ne cesse d’augmenter, jusqu’à épuisement), la concentration de lactate dans le sang ne présente pas de seuil, contrairement à l’idée reçue. Elle augmente de façon curvilinéaire, suivant une courbe sans cassure.
  • Pour une intensité donnée d’exercice, la concentration de lactate diminue après un bon programme d’entraînement, mais cela n’a rien à voir avec un seuil anaérobie : c’est sans doute parce que l’entraînement améliore la précision du contrôle métabolique.

Il y a très grande confusion quant à la façon de procéder pour identifier ce fameux seuil anaérobie. On a recensé plus d’une vingtaine de méthodes : des complexes, des subjectives, des douteuses et des particulièrement farfelues. Le fameux test de Conconi (prisé par certains entraîneurs, mais vertement critiqué par plusieurs scientifiques) fait partie de cette dernière catégorie. Ces diverses méthodes, justement parce qu’elles sont si différentes les unes des autres, mènent à des mesures du seuil anaérobie, pour un sportif donné, qui s’étendent sur une très large fourchette, ce qui n’a rien de rassurant. Certes, on peut voir une assez bonne corrélation entre d’une part la vitesse au seuil anaérobie et, d’autre part, la performance en VTT. Mais cela s’explique : la vitesse que le cycliste tient au seuil anaérobie (qu’on l’établisse d’une manière ou d’une autre) dépend de sa consommation maximale d’oxygène (VO2max) plus que de toute autre chose. Et plus le VO2max est élevé, plus la performance est grande, dans n’importe quelle épreuve de plus de quelques minutes.

Bref, aucune raison de craindre l’acide lactique et le lactate. Ils n’ont pas les torts qu’on leur prête. Ils ne sont pas responsables de la fatigue et ne limitent pas la performance. Et dans plusieurs situations, la performance dépend de la capacité du cycliste à produire plus d’acide lactique, et non pas moins.

La théorie du seuil anaérobie n’est pas valide ; elle ne devrait pas être invoquée pour expliquer la performance sportive, ni pour justifier certaines pratiques en matière d’évaluation et d’entraînement.

La prochaine fois que vos cuisses brûleront, n’incriminez ni l’acide lactique, ni le lactate. La fatigue a des causes complexes, qu’il faut chercher ailleurs !


Pour en savoir davantage

Thibault G. Entraînement cardio, sports d’endurance et performance. Vélo Québec Éditions, Collection Géo Plein Air, 264 p., 2009.
Thibault G. En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer. Vélo Québec Éditions, Collection Géo Plein Air, 192 p., 2013.


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Guy Thibault

Professeur associé à l'École de kinésiologie et des sciences de l'activité physique, Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Guy a été, de 2017 à 2022, directeur des Sciences du sport de l’Institut national du sport du Québec. Ses deux derniers livres sont des succès de librairie : Entraînement cardio, sports d’endurance et performance ; et En pleine forme, conseils pratiques pour s’entraîner et persévérer.

  1. Errol dit :

    Bonjour

    La prochaine fois que vos cuisses brûleront, n’incriminez ni l’acide lactique, ni le lactate. La fatigue a des causes complexes, qu’il faut chercher ailleurs

    donc concernant les épreuve d'endurance ( ultramarathon) que doit on considérer pour expliquer les cuisses qui brulent au bout de 6 heures de courses???

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