
Cyclistes extra-terrestres ?
1 septembre 2023
Guy Thibault
Est-ce que les cyclistes qui réalisent des performances record sont automatiquement dopés ?
Certains polémistes bien connus dans le monde du cyclisme avancent que l’on peut distinguer les cyclistes propres des cyclistes dopés. Ils qualifient ces derniers d’extra-terrestres ou de mutants, affirmant qu’ils devraient être immédiatement condamnés sans autre forme de procès, car leurs puissances de pédalage sur des tronçons de compétition particulièrement exigeants seraient tellement élevées qu’elles ne pourraient être atteintes qu’avec l’aide de substances ou de méthodes interdites par les règlements anti-dopage.
Bien que cette argumentation puisse sembler séduisante, elle ne résiste pas à une analyse critique.
Je ne nie pas que certains cyclistes se dopent. Mais je crois qu’on ne peut pas conclure automatiquement que les cyclistes qui développent des puissances de pédalage plus élevées que les autres sont forcément dopés.
Il est vrai que certaines substances et méthodes interdites par les règlements anti-dopage peuvent faire bondir les performances à un niveau supérieur. Il est également vrai que des tricheurs parviennent à échapper aux contrôles anti-dopage.
Il est donc légitime de se demander si nous pouvons discerner les cyclistes dopés des cyclistes propres en calculant leur puissance de pédalage lors des moments clés des grandes courses.
Souvent, les enquêteurs de la discipline (que vous pourriez assimiler à des détectives Poirot, Maigret ou Clouseau, selon votre préférence) estiment la puissance de pédalage des champions en utilisant des équations mathématiques. On en trouve une dizaine dans la littérature scientifique. Ces équations incluent des variables telles que la pente, la vitesse moyenne à laquelle le coureur a gravi une montée, ainsi que le poids estimé de son corps et de son vélo. Elles ont indéniablement une certaine valeur scientifique : elles témoignent de notre compréhension des facteurs qui influent sur le coût énergétique du déplacement à vélo dans différentes conditions. Bravo !
Cependant, il est difficile d’affirmer avec certitude que la puissance de pédalage ainsi calculée est parfaitement valide. En effet, les équations ne restituent pas toujours exactement la puissance de pédalage mesurée directement à partir de capteurs de puissance. De plus, les équations proposées par diverses équipes de recherche pour estimer la puissance de pédalage à partir de données telles que la vitesse, la pente, la rugosité de la surface de la route, la résistance de l’air, la surface frontale, etc., ne sont pas toutes identiques et elles présentent des imperfections. Une étude espagnole parue en 2007, intitulée Comparison of nine theoretical models for estimating the mechanical power output in cycling, fait ressortir ces différences.
Mais attention ! Il est important de noter que les erreurs d’estimation de la puissance de pédalage découlent souvent plus de l’approximation des données entrées dans les équations que d’une erreur intrinsèque dans les équations elles-mêmes.
Parfois, ces erreurs s’accumulent et entraînent une surestimation de la puissance de pédalage. Il est possible de tolérer une petite erreur dans l’estimation du poids du cycliste et de son vélo, mais une erreur dans les facteurs les plus importants de l’équation peut considérablement fausser les estimations de puissance.
Même si nous avions toutes les données correctes pour estimer correctement la puissance à laquelle un coureur gravit une montagne, cela nous permettrait-il de déterminer s’il est dopé ?
Bien sûr que non ! Il serait simpliste de conclure automatiquement au dopage chaque fois qu’un cycliste affiche une puissance supérieure à celle de ses pairs.
En réalité, c’est précisément le but des compétitions cyclistes : rouler plus vite que les autres dans des segments cruciaux de la course. Cela exige naturellement de développer une puissance de pédalage aussi élevée que possible. Accuser de dopage tout cycliste qui affiche une puissance supérieure à la norme reviendrait à discréditer l’excellence, ce qui serait absurde.
Performer n’égale pas tricher
Suivant le raisonnement des polémistes du cyclisme, toutes les entreprises qui font plus qu’un certain profit seraient frauduleuses. Et tous les chercheurs qui font d’importantes découvertes trafiqueraient leurs données. Et tous les grands peintres peindraient sous stupéfiants.
Il n’est pas logique de suspecter automatiquement tout cycliste qui se contente de faire ce qui est attendu de lui, c’est-à-dire pédaler intensément lorsque cela compte. L’une des grandes valeurs du sport réside précisément dans la révélation de talents exceptionnels. Perdre foi dans la possibilité de réussir équivaut à renier une valeur fondamentale de la société.
En terminant, il est essentiel de préciser que ma position n’est pas de nier catégoriquement la possibilité que certains cyclistes se dopent.
Ce que je soutiens ici, c’est que nous ne pouvons pas conclure automatiquement qu’un cycliste se dope en se basant uniquement sur ses puissances de pédalage, qu’elles soient réelles ou estimées.
S'émerveiller de l'excellence, c'est ce que je fais tout les jours devant les exploits sportifs… tant que la performance reste naturelle à l'échelle du haut niveau.
Un bachelier qui obtient 20 sur 20 en math, c'est exceptionnel mais possible. Un bachelier qui obtiendrait 21 sur 20, ça serait suspect … pour le moins.
Le 21 sur 20, c'est un belge, grand gaillard de 78 kg, très fort en sprint et en contre la montre, jusque là c'est crédible, mais qui éclate tous les leaders des équipes adverses pour tirer son propre leader dans des cols interminables avec des pentes à 11%.
Ça peut aussi être un danois avec un maillot jaune sur le dos, taillé comme une ablette, qui grimpe très bien, jusque la c'est crédible, mais qui défonce tout le monde, y compris des spécialistes au physique de golgoth qui se battent pour la victoire finale, lors d'un contre la montre décisif.
Celle ci, elle m'a rappelé un italien qu'on surnommait "le Pirate", lors de sa victoire sur le tour… triste référence.
Tiens, ça serait marrant et vraiment une grosse coïncidence si les 2 courreurs que je viens d'évoquer appartenaient à la même équipe, construite sur les ruines d'une équipe assez sulfureuse…
S'émerveiller, c'est ce que nous recherchons tous dans les exploits sportifs, mais la fausse naïveté est à mon sens nuisible à la beauté du sport.
Restons en au 20 sur 20… et vive le vélo ! !
Bonjour,
Exploser les chronos en montée, nombreux sont ceux qui y arrivent, mais les exploser en descente comme Vingegaard l'a fait en descente, qui d'autre que lui oserait le faire……a part peut-être Nibali, qui a fini par se vautrer comme d'autres !
Et prendre des risques comme Vingegaard l'a fait, même moi qui était un super descendeur, je n'ai pas le souvenir d'en avoir pris autant. Je ne suis jamais tombé, et jamais je n'ai pris la moindre substance illicite
Merci de votre commentaire bien amusant et édifiant. J’aime votre sens de l’humour. Bien d’accord avec vous!
Bonjour Guy,
Prendre en exemple le saut en longueur pour citer le talent exceptionnel de certains athlètes voire de cyclistes actuels me semble une mauvaise comparaison. On ne peut pas comparer le saut en longueur où la technique est un élément important et le cyclisme où elle importe peu. Concernant le record de Beamon, êtes-vous au courant de l'hypothèse de l'anémomètre défectueux au moment de son saut? Concernant le saut de Mike Powell aux mondiaux de Tokyo 1991, il a eu lieu au cours du plus grand duel de l'athlétisme de ces trente dernières années. Cela aide à mettre en valeur le talent exceptionnel de certains athlètes. OK d'accord; Mais pas de tous les athlètes! Cette année, chez Jumbo Visma, tout le monde marche en même temps. Primoz Roglic, aiguillé dès son plus jeune âge vers le saut à skis (donc sans qualité particulière pour les sports d'endurance) va peut-être gagner sa 4ème Vuelta. Il a intégré le world Tour à 26 ans. Le français Christophe Laporte , passé dans l'équipe bâtie sur les ruines de la Rabobank, marche à plein régime. Jonas Vingegaard s'est révélé à 24 ans. A-t-il profité de l'absence de contrôle antidopage pendant la pandémie pour se refaire une santé, voire un nouveau passeport sanguin? L'américain de JV, Sepp Kuss, est actuellement leader malgré lui sur cette Vuelta: il a dû attendre ses deux leaders dans la 8ème étape! Et Roglic, par provocation, déclare qu'il y aurait beaucoup plus que trois leaders chez Jumbo!
Comment "s'émerveiller" alors que tant d'autres galèrent? L'augmentation des puissances estimées est assez conséquentes (dans les 450 watts) pour se poser des questions et soupçonner certaines équipes, ce qui est différent de conclure à un dopage. Car ces puissances atteignent maintenant celles des années pré-2000 où 98% du peloton marchaient à l'EPO. Le problème (que vous occultez), par exemple sur le TdF cette année, est que les meilleurs ont répété les exploits en 3ème semaine après une 1ère intense. C'est la répétition des exploits qui est source de soupçons. Si comme vous dites "performer n'est pas tricher", et je suis d'accord, performer pendant trois semaines, c'est tricher.
Merci de votre commentaire bien reçu. Je suis flatté qu’un spécialiste comme vous preniez le temps de commenter. J’aime bien vous écrits dans le magazine Sport et Vie et sur LaFlammeRouge! Bien d’accord avec vous qu’il y a lieu de se poser des questions. Voilà pourquoi, comme vous l’avez vu, je termine mon texte en écrivant : « En terminant, il est essentiel de préciser que ma position n’est pas de nier catégoriquement la possibilité que certains cyclistes se dopent. Ce que je soutiens ici, c’est que nous ne pouvons pas conclure automatiquement qu’un cycliste se dope en se basant uniquement sur ses puissances de pédalage, qu’elles soient réelles ou estimées. »
Bonjour,
Ayant lu beaucoup de vos écrits à tous les deux, j'ai pris connaissance avec grand intérêt de vos points de vue respectifs.
Qu'il me soit permis d'ajouter quelques remarques :
1. Quand bien même les estimations de puissance seraient rigoureusement exactes, elles sont calculées sur des ascensions de durée variable et à des altitudes différentes.
Pour les comparer de la manière la plus objective possible, j'ai pris les données de plusieurs performances exceptionnelles publiées sur lanternerouge.com. J'ai ensuite estimé la PAM correspondante en utilisant les données publiées par le pôle performance de l'équipe cycliste FDJ, à savoir un temps de maintien de la PMA de cinq minutes et un index d'endurance de -9.8
J'ai ensuite appliqué un correctif pour l'altitude, tirée d'une étude norvégienne : 6,3 % de perte par tranche de 1000 m à partir de 300 m.
Voici ce que j'ai obtenu :
8,38 Watts / kg Vingegaard côte de Domancy, chrono du Tour 2023 (forte incertitude sur le CX, donc sur cette performance à 25 km /h)
8,35 Watts / kg Evenepoel Lo Port 2023
8.35 Watts / kg A. Yates Thion 2000 2023
8,33 Watts / kg Ayuso Abula Pass 2023
8,29 Watts / kg Pinot Thion 2000 2023
Ces résultats sont tellement proches qu'il devient impossible de les diviser en catégories "humain", "suspect", "miraculeux", "mutant".
2° Par la même méthode, j'ai estimé la PMA de Pantani à 9,14 Watts / kg lors de l'ascension du Flumserberg en 1995. Les champions actuels restent donc nettement en-dessous du grimpeur italien.
3° Lors du dernier Tour, le champion français Gaudu s'est retrouvé dans la "zone suspecte" avant de franchir le dernier "radar" selon l'expression de F. Portoleau et A. Vayer. Mais peu avant d'arriver à cette dernière ascension, il a lâché son guidon dans un virage et s'est retrouvé par terre. Sa performance dans le dernier "radar" en a été fort affectée mais son honneur sauvé puisqu'il est ainsi sorti de la "zone suspecte". Un erreur de débutant qui prouve que l'on est pas suspect de dopage, voilà où mène cette méthode de repérage des tricheurs.
4° Valverde était largement en-dessous de la zone suspecte, selon les calculs de Portoleau et Vayer. Et pourtant, il a bien été prouvé qu'il se dopait.
5° Lors que l'instauration de la limite de 50 % pour le taux d'hématocrite, les avis ont divergé quant à sa pertinence. Un ancien médecin du Tour de France a dit n'avoir jamais mesuré d'hématocrite au-dessus de 48 % au cours des nombreuses années où il a testé tous les participants avant le départ du Tour. J.-P. de Mondenard, pionnier de la lutte antidopage a écrit que l'hématocrite d'un adulte masculin en bonne santé se situe entre 42 et 54 %. Selon que l'on prenne 48 % ou 54 % d'hématocrite comme limite, celle de la performance cycliste humainement possible sans dopage va varier d'environ 10 %. Comme il existe aussi des incertitudes sur d'autres composantes de la performance cycliste naturelle, il est rigoureusement impossible d'établir avec une précision utile la frontière naturelle de celle-ci.
Meilleures salutations sportives,
Bernard Bachelart
Escroquerie intellectuelle. Non Le frottement de la chaîne n'entraîne pas d'erreur significative, le frottement non plus.
Le vent je suis d'accord. Mais dans du 9% de moyenne RÉGULIER dans les bois on peut calculer PRÉCISÉMENT une puissance grâce à la vitesse et le poids. Je m'amuse à comparer les données de mon SRM sur l'outil en ligne sportech.online.fr rubrique performance. Cet outil est extraordinaire il me donne quasiment au WATT PRÈS les donnés de mon SRM. Vous vous foutez de la gueule du monde en disant que c'est impossible et blabla.
Escroquerie également sur l'efficacité. Que je développe 400w avec 17% d'efficacité ou 400w avec 25% N'Y CHANGE RIEN. Déjà il n'existe pas ( ou alors très peu ) de professionnels ayant une efficacité mécanique inférieure à 20%, même pour un amateur confirmé, 20% serait faible. C'est dans toutes les littératures de physiologie, la règle c'est 25% d'efficacité énergétique, donc 100w sur les pédales = 300w de dissipation thermique.
Et moi je ne suis qu'un pauvre amateur qui s'amuse à lire un peu de bio / physio, ce genre d'article j'ai l'impression sert à couvrir le dopage.
Merci de vos commentaires. Je laisse le soin à notre distingué lectorat de juger de la valeur des termes agressifs que vous utilisez.